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La PhD Cup flamande vise à faire connaître la recherche flamande au grand public. Cette année, Tim Boogaerts n'a pas remporté le concours mais il estime avoir vécu une expérience fantastique. " Il s'agissait d'une excellente initiative. Je suis très reconnaissant d'avoir pu suivre le large éventail de formations à la rédaction, à la présentation et aux médias. "Le chercheur a obtenu son diplôme en sciences pharmaceutiques à l'université d'Anvers en 2018. Depuis sa thèse de doctorat, il effectue des recherches sur les eaux usées. Mais pourquoi cette "fascination" pour l'eau qui s'écoule dans les égouts? "L'épidémiologie des eaux usées constitue à mes yeux une passerelle entre différents domaines de recherche qui m'intéressent", explique Tim Boogaerts. "Pour développer des méthodes d'analyse des eaux usées, on utilise la chimie analytique. Elle comporte aussi des éléments liés à l'environnement et à la santé publique."La réalisation de son doctorat sur "l'étude des eaux usées en tant que source complémentaire d'informations sur certains aspects de notre santé et de notre mode de vie" a pris du temps. "Tout d'abord, je voulais savoir si la Belgique devait craindre une crise des opioïdes comme celle qui sévit aux États-Unis, en examinant nos eaux usées."Comment? "Tout ce que nous utilisons laisse des traces dans les égouts: des drogues, de l'alcool et des médicaments aux polluants environnementaux tels que les PFAS et les pesticides. En examinant les eaux usées, on peut révéler des tendances sur la consommation de substances dans des lieux ou à des moments précis."La pandémie a alors éclaté. "Je n'ai pas eu d'autre choix que d'adapter mon doctorat", explique le chercheur. "De nombreuses mesures politiques ont été prises, comme les fameux "confinements", durant lesquels tout le monde devait rester chez soi. Grâce à la recherche sur les eaux usées, j'ai étudié l'effet de ces décisions sur notre consommation de substances. Je me suis concentré sur les drogues, les médicaments et l'alcool."Tim Boogaerts nous rassure: il n'a pas dû pénétrer dans les égouts. "Les stations d'épuration des eaux usées des villes d'Anvers, Bruxelles, Boom et Louvain ont collecté des échantillons. Toutes les dix minutes, juste avant l'assainissement, ces stations prélevaient une petite quantité d'eau. A la fin de la journée, je disposais donc d'un échantillon représentatif des 24 heures écoulées.""À partir de là, j'ai créé un modèle permettant d'analyser tous les types de substances utilisées à cet endroit ce jour-là. J'ai ensuite appliqué les méthodes de mesure que j'ai développées spécifiquement pour cette recherche.""Ces méthodes m'ont permis de purifier les échantillons: j'ai éliminé les substances qui ne m'intéressaient pas, ainsi que les particules solides. Les substances présentes dans l'échantillon - par exemple les antidépresseurs - ont dû être fortement concentrées car elles ne sont présentes qu'en très faibles quantités, comparables à un morceau de sucre dans un étang. L'étape suivante a consisté à séparer les substances les unes des autres - drogues, alcool et médicaments - et à mesurer leurs concentrations effectives dans l'échantillon."Les méthodes développées par le chercheur anversois permettent de détecter rapidement certaines substances dans de petites quantités d'eaux usées. Il est en mesure de suivre l'utilisation de plus de 50 drogues et médicaments en l'espace de quelques jours. Qu'ont révélé les eaux usées sur la consommation des Belges pendant les confinements? "La consommation de cocaïne, de speed et d'ecstasy est restée stable dans tous les sites étudiés", répond Tim Boogaerts. "Nous en avons conclu que les gens continuaient à se droguer à domicile ou que certains, malgré la rigueur des règles en vigueur, continuaient à prendre part à des activités illégales."En revanche, la consommation d'alcool a diminué pendant les confinements. "La fermeture de l'Horeca et du secteur événementiel, jointe à l'interdiction de réunions, a sans doute joué un rôle considérable: quand cafés et restaurants ont rouvert, nous avons constaté une augmentation de l'alcool dans les eaux usées."Le recours aux antidépresseurs et aux opioïdes n'a pas augmenté pendant les confinements. "Il est important de poursuivre les prélèvements afin de mesurer à quel point cette crise sanitaire a affecté notre bien-être mental", précise Tim Boogaerts. "Les effets de ces confinements sur notre santé mentale ne se feront sans doute sentir qu'à long terme. Il est possible que d'éventuels diagnostics soient posés plus tard." Ce qui peut se traduire par une augmentation de la médication... Le chercheur répugne toutefois à effectuer des prévisions. "En analysant les eaux usées, nous pouvons mesurer des tendances très spécifiques, au jour le jour. Il est possible qu'il y ait un pic dans la consommation d'alcool tel jour sur tel site, par exemple, suite à l'organisation d'un événement. L'établissement d'un lien requiert des recherches.""En ce sens, il n'est pas toujours possible de déterminer si les chiffres relevés découlent d'un usage chronique ou récréatif", poursuit Tim Boogaerts. "Ces chiffres ne nous apprennent rien non plus sur le comportement des individus. Les valeurs mesurées sont collectives et concernent toute la population reliée à la station d'épuration qui a récolté les échantillons.""Les eaux usées ne constituent pas un étalon miraculeux. Elles ne permettent pas de cartographier précisément la prise de médicaments", reconnaît le chercheur. "Pour cela, il faudrait combiner les données issues de différentes sources, comme les enquêtes sanitaires, les rapports de police, etc."Les méthodes conçues par Tim Boogaerts lui ont également permis de suivre la propagation du covid. Actuellement, l'analyse des eaux usées en Flandre se concentre toujours sur cet aspect. L'analyse de la consommation de médicaments reste limitée. Ce n'est pas le cas dans certains pays, comme l'Australie qui se sert de ces analyses dans le cadre de la prévention de la toxicomanie, nous apprend le chercheur. "Il est dommage que notre pays n'en soit pas encore à ce stade", déclare Tim Boogaerts. "Un seul échantillon d'eaux usées fournit des données sur un nombre important de personnes. En outre, il est possible de contrôler l'effet de décisions politiques à des endroits et à des périodes très spécifiques.""Nous avons besoin d'une vue d'ensemble", insiste Boogaerts. "Je plaide en faveur de la combinaison de plusieurs sources de données pour cartographier l'ensemble de notre consommation. Les eaux usées doivent faire partie de cet ensemble. Considérez-le comme un puzzle qui n'est complet qu'une fois la dernière pièce posée."