Pharmacien et entrepreneur, Chris Cardon (52 ans) a roulé sa bosse de l'officine familiale de Blankenberge à la quête du vaccin covid idéal sous la bannière de Ziphius Vaccins en passant par Mooss Pharma et par les vignobles du Bordelais. Pour lui, une chose est sûre: " Au fil de ma carrière, mes études en pharmacie (et à Vlerick) m'ont permis de comprendre une foule de choses. En ce sens, c'est pour moi la formation parfaite. "
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C'est le branle-bas de combat sur le site de Heide à Merelbeke, où les conteneurs qui abriteront prochainement les chercheurs et laborantins de Ziphius (une équipe qui compte actuellement 27 personnes mais devrait encore sensiblement s'étoffer d'ici la fin de l'année) se multiplient comme des champignons à côté des anciens laboratoires et salles de classe. Avec la pandémie, le nouveau projet de Chris Cardon a pris un formidable coup d'accélérateur. "J'aurais pu rester CEO d'Animalcare (ex-Ecuphar) jusqu'à la fin de mes jours, mais cela me bridait tout de même un peu dans mes aspirations d'entrepreneur. Le fait de voir des personnes de mon entourage mourir de maladies contre lesquelles il n'existait pas de traitement m'a fait réfléchir et m'a poussé à reprendre des études. Comme il était question de pathologies dues à une anomalie génétique, j'ai finalement abouti chez le professeur Sanders à l'université de Gand. Le potentiel de la recherche sur l'ARN nous a d'emblée convaincus - et ce dès 2019, bien avant que tout le monde en parle!" "À la base, l'idée était que Ziphius se concentre sur des problèmes comme la mucoviscidose, les déficits en hormone de croissance, etc. Lorsque j'ai appris l'année dernière, lors d'un congrès à San Francisco, que Moderna avait l'intention de lancer un vaccin contre le coronavirus basé sur cette technologie de l'ARNm, nous nous sommes concertés au sein de l'équipe... et il s'est avéré que deux de mes chercheurs avaient une expérience du SARS et du MERS, deux pathogènes de la famille des coronavirus. Nous avons donc décidé de nous recentrer sur l'actuelle pandémie." Contrairement aux médicaments traditionnels, la technologie ARN présente en effet l'avantage de fournir à l'organisme les informations qui lui permettront de développer lui-même de façon ciblée ses propres mécanismes de défense, et ce sans guère d'effets secondaires. "C'est vraiment une technique d'avenir!", s'enthousiasme l'entrepreneur belge, qui a de grandes ambitions. "Notre objectif, c'est de développer un vaccin covid 2.0 offrant 100% de garanties. Néanmoins, ce n'est pas parce que nous nous concentrons actuellement sur le coronavirus que toutes ces autres maladies que nous visions au départ ne nous intéressent plus: nous planchons aussi sur des dizaines d'autres vaccins", précise-t-il encore. Lorsqu'on l'interroge sur le fil rouge de sa carrière, le pharmacien répond du tac au tac: "Il faut oser se lancer dans des entreprises impossibles et être capable de gérer l'incertitude. Lorsque j'ai abandonné la pharmacie familiale, ma maman n'était pas ravie: pourquoi laisser filer un bon revenu stable? Moi, je me sentais davantage l'âme d'un entrepreneur. Évidemment, j'ai toujours commencé par étudier soigneusement mon sujet, qu'il s'agisse du bain de bouche qui a débouché sur la création de Mooss Pharma ou sur la mauvaise haleine du chien qui a finalement donné naissance à Ecuphar. Il faut voir les opportunités, glaner des tendances et des idées lors de congrès et oser réfléchir plus loin." Au croisement de la chimie et de la biologie, sa formation en pharmacie lui a ouvert la compréhension de toute une série de sujets. "Je ne suis pas un expert, mais en tant qu'entrepreneur, l'art est de s'entourer de personnes capables de concrétiser ses idées. Une bonne équipe, c'est la base de tout ; moi, je suis plutôt le chef d'orchestre qui veille à l'harmonie du résultat final." Et d'ajouter: "Oser s'attaquer à ce qui semble impossible signifie qu'on n'a pas forcément un parcours parfaitement logique." Voyager lui a aussi beaucoup appris. "Au cours d'un safari en Afrique, nous sommes tombés nez à nez avec une un éléphanteau et sa maman, qui battait des oreilles de façon menaçante. Lorsque j'ai suggéré de décamper, mon chauffeur a répliqué: 'Non, on reste. Il faut lui montrer que c'est elle qui commande et qu'elle a la situation sous contrôle. Si elle sait qu'elle peut protéger son petit, il ne nous arrivera rien.' Derrière cette anecdote se cache une formidable leçon de vie: si vous arrivez quelque part en voulant immédiatement tout chambouler, vous allez surtout alimenter l'opposition. En faisant preuve d'écoute et d'humilité, vous vous facilitez la vie. Respecter l'autorité en place et la rallier à ses idées sans jamais les trahir sera probablement beaucoup plus fructueux que de vouloir forcer le passage." Impossible d'interviewer Chris Cardon sans dire un mot de la viticulture, un autre de ses nombreux centres d'intérêt. "Au cours de mes rares moments de temps libre, j'aime m'adonner à la course à pied ou à la voile. Courir est une activité idéale pour se vider la tête et remettre les choses en perspective - comme les livres de philosophie ou les ouvrages du psychiatre Boris Cyrulnik qu'il m'arrive d'ouvrir pendant le weekend. Mais pour en revenir au vin, des connaissances m'ont fait découvrir le Marathon du Médoc, une course entre les domaines du Bordelais avec des haltes-dégustation. J'y ai déjà participé plusieurs fois." De fil en aiguille, l'expérience a nourri son intérêt pour la viticulture. "En 2009, j'ai eu le coup de foudre pour un domaine de Pauillac, juste à côté du Château Latour, où on ne faisait plus de vin depuis 1956. Lorsque 2,2 hectares qui appartenaient autrefois au domaine ont été mis en vente, en 2015, nous avons relancé la production. C'était vraiment une occasion unique. Cela dit, cette histoire montre bien que réaliser ses rêves n'est pas qu'une question d'argent: il fallait aussi susciter l'enthousiasme des vendeurs pour le projet - en l'occurrence, la renaissance du Château Bellevue." Le Château Bellevue (désormais Bellevue-Cardon) n'est du reste pas le seul domaine vinicole à appartenir à Chris Cardon, puisqu'il possède aussi le Château la Haye dans la commune voisine de Saint-Estèphe - celui-là même qui accueillit au 16e siècle les amours d'Henri II et de sa maîtresse Diane de Poitiers. "La Haye est plus intéressant que Bellevue d'un point de vue historique, mais d'un point de vue qualitatif, il n'y a pas photo: le terroir du Château Bellevue est tout simplement magnifique." Jamais deux sans trois: notre compatriote possède également à Saint-Estèphe le Château Clauzet, doublé de plusieurs hectares de vignobles. Une nouvelle touche de rouge Cardon pour la région de Bordeaux...