...

Jusqu'à 30% des hospitalisations des personnes âgées sont liées à l'utilisation inappropriée de médicaments, dont 50% pourraient être évitées. Face à ce constat, un consortium de recherche européen (OPERAM, OPtimising thERapy to prevent Avoidable hospital admissions in the Multimorbid elderly), où l'on retrouvait l'UCLouvain et les Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles, s'est mobilisé pour mener une étude visant à évaluer, à grande échelle, l'effet d'une révision structurée de la médication, durant une hospitalisation, chez des patients présentant de nombreuses maladies concomitantes (? 3) et prenant plusieurs médicaments (? 5). "L'intervention mise en place avait plusieurs facettes: un des volets était d'utiliser un programme qui détectait les prescriptions potentiellement inappropriées selon des critères STOPP/START. Une fois que l'ordinateur avait détecté ces médicaments, un binôme de pharmacien/médecin réexaminait le dossier du patient et déterminait s'il y avait des éléments non détectés par l'ordinateur ou non pertinents. Ensuite, ils allaient négocier avec le médecin en charge du patient à l'hôpital pour appliquer les recommandations en lien avec les médicaments", explique Olivia Dalleur, professeure au Louvain Drug Research Institute (LDRI) de l'UCLouvain et pharmacienne aux Cliniques Saint-Luc. "Par exemple, le système d'aide à la décision informatique a détecté qu'un patient prenait 2 somnifères, le duo pharmacien/gériatre a confirmé que c'était une prescription inappropriée et a discuté avec le chirurgien pour proposer d'arrêter ce médicament. En cas d'accord du chirurgien, il y avait aussi une étape de décision partagée avec le patient. Enfin, si tout le monde était d'accord, y compris le patient, le médicament était arrêté et on envoyait un résumé au médecin généraliste. Ce qui est vraiment original dans cette intervention c'est l'utilisation du programme informatique, le travail en interdisciplinarité médecin/pharmacien, et l'implication du patient dans la décision finale". 2.008 patients âgés de plus de 70 ans ont été recrutés dans quatre centres européens (Suisse, Irlande, Belgique, Pays-Bas), soit 963 dans le groupe témoin et 1.045 dans le groupe d'intervention, ils étaient recontactés 2 mois, 6 mois et 1 an après leur sortie de l'hôpital. "Ces patients présentaient plusieurs pathologies et prenaient au moins 5 médicaments/jour, mais ils n'avaient pas forcément un profil gériatrique. Le recrutement était assez large: aux Cliniques universitaires Saint-Luc, on a recruté un peu moins de 400 patients en médecine interne, en endocrinologie, en chirurgie orthopédique et digestive...", ajoute-t-elle. "Notre principal objectif était de réduire le risque de réadmission liée aux médicaments, dans l'année qui suivait. Malheureusement, on n'a pas réussi à montrer une telle diminution, le taux de réhospitalisation tournait autour de 21-22%, sans différence significative entre les deux groupes (intervention et contrôle). C'était bien sûr une déception pour l'équipe, concède Olivia Dalleur. D'un autre côté, il y avait d'autres résultats secondaires: on a par exemple pu montrer que 86% des patients avaient des prescriptions inappropriées lors de leur premier séjour à l'hôpital, il y a donc vraiment un travail à faire. On a donné 2 à 3 recommandations par patient et on s'est rendu compte qu'à 2 mois, au moins une d'entre elles était toujours appliquée chez plus de 60% des patients". "Ainsi, ce qu'on a fait pendant le séjour hospitalier pour optimiser le traitement médicamenteux a permis d'améliorer la qualité de la prescription après la sortie de l'hôpital. Mais ce n'était pas suffisant pour prévenir les réadmissions dans une population multimorbide", conclut-elle. Comment expliquer ce manque d'effet sur l'objectif principal? Les auteurs avancent plusieurs explications: "Lorsque les recommandations d'arrêt de médicaments étaient suivies (dans deux tiers des cas), il s'agissait souvent de médicaments peu impliqués dans les hospitalisations. D'autre part, l'effet aurait sans doute été positif si l'optimisation de la médication avait concerné certaines classes de médicaments (par exemple, les chutes dues aux benzodiazépines) ou des patients à haut risque pré-identifiés". "Probablement qu'en ciblant les médicaments plus à risque, on augmenterait les chances que cela fonctionne, poursuit-elle. On a aussi plusieurs analyses secondaires qui sont autant de pistes pour de prochains projets ou pour comprendre ce qui s'est passé. A Bruxelles, on s'est par exemple intéressé à l'expérience des patients par rapport au processus mis en place, à la communication avec le généraliste, etc. On a eu un feed-back positif des patients mais on remarque qu'il reste une vision un peu paternaliste de la façon dont les médicaments sont prescrits: les patients suivent ce que le médecin leur conseille, ils ont du mal à se positionner comme experts de leur propre santé, même si certains sont demandeurs. Ce volet 'expérience patient' est très intéressant et peut nous aider à comprendre pourquoi l'intervention fonctionne ou pas". La communication avec le médecin généraliste fait partie des points à creuser: "Dans cette étude-ci, on était très hospitalo-centré, toute l'intervention se passait pendant le séjour à l'hôpital et le généraliste recevait un résumé de nos actions. On pense que ce serait plus efficace d'impliquer le MG au processus de révision médicamenteuse, notamment pour les patients chroniques, âgés... Il est la pierre angulaire". Dans cet ordre d'idée, il est prévu qu'un nouveau projet de recherche sur la révision de la médication, ciblé sur les benzodiazépines et impliquant la première ligne, appelé BE-SAFE, soit implémenté au cours de cette année.