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"Nous entrons dans une ère médicale fabuleuse et pleine de promesses positives pour l'avenir". S'il est un procès que l'on ne peut pas faire à l'essayiste et éditorialiste Nicolas Bouzou, c'est de manquer d'enthousiasme! Il explique comment depuis le néolithique, Homo sapiens est un Homo sanitas qui prend soin de lui et des autres et oeuvre ainsi à la marche du monde et combien la médecine requiert soins, compétences et technologie: "Soigner n'est pas seulement ôter une douleur. C'est redonner à l'autre sa liberté de bâtir sa vie et oeuvrer, consciemment, à cet objectif. (...) C'est en ce sens qu'Homo faber est aussi Homo sanitas. La technique permet le soin et le soin permet à l'homme de continuer l'aventure technologique de construction du monde. La médecine humaine est à la fois technologique et sociale". En refaisant une histoire du soin et de la médecine, l'auteur montre que "l'organisation du système de santé est un marqueur de la civilisation et non pas la conséquence d'une obsession hygiéniste mal placée, comme on l'a parfois entendu pendant la crise du Covid-19 (...) En fait, plus une civilisation est développée, plus la préoccupation du soin est présente". La pandémie est bien sûr présente tout au long des pages de cet essai qui remet en perspective cet épisode hautement inédit et inattendu. Et pourtant, rappelle-t-il, le monde est frappé par des épidémies depuis que les hommes vivent en groupe et se déplacent. Cependant, elle est inédite dans le sens où elle se propage plus vite que celles du passé et où on accorde à la vie humaine plus de valeur que jamais. "Nous sommes prêts à accepter un appauvrissement collectif pour protéger les individus. (...) C'est une preuve supplémentaire que la mondialisation s'accompagne d'une sorte de conscience universelle". Pour Nicolas Bouzou, cette épidémie planétaire illustre très bien sa vision libérale de la médecine, dans le sens où l'accélération des flux (informatiques, matériels...) participe du problème comme de la solution: "Il serait trop facile et imprécis de désigner la mondialisation contemporaine comme coupable de la pandémie de Covid-19". De même, "considérer que l'épidémie de Covid-19 a révélé une obsession contemporaine pour la survie 'quoi qu'il en coûte' relève d'une erreur de perspective historique. Cela a toujours été le cas. Les hommes ne se sont jamais satisfaits de mourir. La religion, la transmission et la médecine permettent à notre cerveau de s'extraire du paradoxe selon lequel la mort est à la fois inévitable et impossible, d'allonger la vie, de croire même qu'on peut la prolonger indéfiniment". Il fonde ainsi beaucoup d'espoirs sur les progrès prodigieux de la médecine et notamment sur 6 technologies précises: l'intelligence artificielle, la nanomédecine, l'imagerie, l'impression 3D, la robotique et la médecine à distance. Cette révolution est en marche et certains aspects ont été accélérés par la pandémie ou se sont imposés à cette occasion: "À nous de nous organiser et de dégager des financements pour pouvoir respecter notre contrat social: faire en sorte que (chacun) puisse accéder aux traitements les plus récents. C'est un fantastique défi politique". Au centre de ce défi, le cercle vertueux dans lequel économie et santé se renforcent mutuellement, avec en point de mire la façon dont les pays et l'Europe arriveront à maintenir une souveraineté sanitaire face aux appétits des GAFA et de leurs homologues chinois. Nicolas Bouzou n'hésite pas à poser les questions qui dérangent: Pourquoi moquer ou refuser le transhumanisme? Est-il économiquement sage de délivrer l' "ultime chimio"? Faut-il désapprouver toute forme d'eugénisme? Faut-il craindre l'instauration d'un biopouvoir et l'avènement d'une société hygiéniste? ... L'essai Homo sanitas pose un regard documenté et enthousiaste sur ce qu'est devenue la médecine d'aujourd'hui et surtout sur ce qu'elle pourrait être demain. "L'innovation technologique contemporaine offre une formidable occasion de réaliser le rêve de Canguilhem, estime-t-il: soigner non pas un organe, mais un sujet. Elle nous promet ainsi une médecine dite 4P: prédictive, préventive, personnalisée et participative".