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En France, l'Académie nationale de Pharmacie a appelé les autorités " à agir vite et fort pour garantir la disponibilité de tous les médicaments. " (1) Ses inquiétudes sont certes nées des conséquences de la Loi de financement des soins de santé 2023 (les dépenses médicaments seraient réduites de 7% par rapport à 2022) sur les pénuries des médicaments anciens et indispensables, mais aussi de la crise énergétique. " Les coûts de production ont augmenté de 20% à 30%, voire plus dans certains cas ", note l'Académie qui entend anticiper " une augmentation inédite en 2023 des pénuries, tensions et ruptures de stocks, et des arrêts de commercialisation ou des abrogations d'AMM. " " Actuellement, ce qui inquiète tout le monde c'est évidemment la guerre et les conséquences éventuelles sur la pénurie de certains produits. On a par exemple vu cet été une rupture de la glace sèche (dry ice) qui n'a heureusement pas duré longtemps, mais c'est un exemple de ce qui pourrait toucher le secteur de façon assez rapide et importante. Pour l'instant, les pénuries sont tout à fait gérables ", indique David Gering, porte-parole de pharma.be. En revanche, les hausses de prix inquiètent grandement: " Pas seulement l'inflation mais aussi les indexations des salaires qui ont eu lieu deux fois cette année et qui font que la production en Belgique devient vraiment très chère comparée à d'autres pays. C'est une réelle crainte pour le secteur pour les années à venir ", assure-t-il. Si pharma.be affiche une certaine sérénité, les inquiétudes sont plus palpables du côté des génériqueurs. Medaxes (Association for accessible medicine) pointe trois éléments qui compromettent l'accès des patients aux médicaments génériques (et autres médicaments hors brevet 'bon marché'): l'érosion du prix moyen des génériques, l'inflation et les coûts de production en forte augmentation. (2) " L'inflation n'a fait que renforcer la pression sur la structure de prix actuelle des médicaments 'bon marché'. La législation en matière des prix des médicaments génériques et biosimilaires fait que ces types de médicaments ne peuvent pas simplement s'adapter à la hausse des prix de l'énergie, des matières premières et des coûts de la production contrairement aux médicaments originaux. L'absence de cette flexibilité aujourd'hui ne fait qu'augmenter le risque de voir ces médicaments essentiels bon marché disparaître du marché belge. Cette flexibilité est donc très importante pour garantir leur disponibilité. Alors que pratiquement tous les autres secteurs ont la possibilité de répercuter la hausse de leurs coûts sur le prix de leurs produits, la loi nous interdit toujours de procéder à de telles augmentations de prix. Cette situation est à mon avis discriminatoire et incompréhensible d'un point de vue coût-efficacité des soins de santé ", souligne Wim Vervaet, Director Strategy & Policy chez Medaxes. " Au cours de la dernière décennie, les médicaments hors brevet, qui représentent 70% des médicaments délivrés dans l'Union européenne, ont été soumis à une réglementation stricte des prix, à des mesures d'austérité budgétaire et à des règles d'appel d'offres au prix le plus bas, entraînant une érosion substantielle des prix et une situation insoutenable pour les fabricants. Cette situation a été exacerbée par la crise de Covid-19 et la guerre en Ukraine, qui ont fait augmenter de façon spectaculaire l'inflation générale, le coût des matières premières (qui a augmenté de 50 à 160%)(3), les coûts de transport (jusqu'à 500%) et les prix de l'énergie ", s'est insurgée en septembre dernier Medicines for Europe, représentant les génériqueurs au niveau européen. " Dans le débat 'Protecting patient access to affordable medicines as inflation bites' organisé par Politico le 12 octobre 2022, Medicines for Europe a expliqué l'impact du coût énergétique (parfois triplé) dans le cadre du refroidissement (cooling) et réchauffement (heating) ou de la fermentation dans le processus de production de certains médicaments. L'augmentation du coût de l'énergie a également un impact amplifié sur certains médicaments critiques comme les antibiotiques injectables, qui sont stériles et conditionnés dans du verre, deux procédés gourmands en énergie. Toutefois, les prix que les fabricants obtiennent actuellement pour ces produits sont excessivement bas. Ainsi, un fabricant belge obtient aujourd'hui environ 80 cents pour une ampoule d'un antibiotique combiné à large spectre. Ce n'est pas un prix exploitable, et encore moins rentable. Idem pour le prix de l'aluminium en hausse pour la production des blisters à médicaments et des emballages plastiques et papier ", précise Medaxes. Les conséquences sur les pénuries se font déjà sentir: " À la fin du mois de mai 2022, environ 1 médicament sur 10 n'était pas disponible pour une raison dont l'on peut supposer qu'elle était liée d'une manière ou d'une autre à un manque de rentabilité économique et/ou au contexte politique et économique incertain. Plus de 90% des cas concernent les 'vieux médicaments' (sur le marché depuis plus de 12 ans) ", constate l'association. Dans ce contexte, Medaxes propose " de limiter la baisse de prix 'légale' des médicaments génériques par rapport aux médicaments originaux ; de tenir compte de la rentabilité des entreprises afin d'avoir un certain nombre de producteurs sur le marché pour garantir la disponibilité des médicaments essentiels pour le patient et ne pas baser l'évaluation uniquement sur les calculs de prix ; d'intégrer des mécanismes de correction de prix dans des procédures de prix afin de remédier à l'impact de la hausse des coûts et de l'inflation ; d'alléger la charge administrative et d'ouvrir certaines procédures aux vieux médicaments essentiels en cas de risque de pénurie ou de disparition et d'activer une 'procédure d'alerte' où l'entreprise peut indiquer anticipativement aux autorités qu'un médicament va disparaître du marché (par exemple en raison de la baisse de son prix) sans qu'il existe d'alternative thérapeutique ". " Cela fait longtemps que nous nous adressons aux autorités compétentes pour régler ces problèmes structurels. Nous constatons une grande compréhension, mais les discussions qui devraient conduire à la mise en place sur le terrain de procédures plus viables prennent beaucoup trop de temps. Aujourd'hui, les autorités elles-mêmes sont en fait l'obstacle à la disponibilité durable des médicaments. C'est le résultat d'une évolution rapide sur le terrain et d'une législation dépassée. Il faut agir rapidement si nous ne voulons pas faire un mea culpa par la suite ", conclut Jasmien Coenen, Managing Director de Medaxes.