Après avoir passé plus de dix années à travailler dans la pharmacie d'un grand hôpital universitaire, Marie Loriaux s'est trouvé un poste qui lui permet d'appréhender l'hôpital dans toutes ses dimensions, depuis les médicaments jusqu'à la promotion du développement durable et de l'innovation.
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Transversal Project Manager, késako? C'est le titre de la fonction désormais occupée par Marie Loriaux aux Cliniques de l'Europe à Bruxelles où elle est en charge de divers projets allant du transport par drones aux approches éco-responsables. Ce qui peut sembler correspondre à un grand écart professionnel pour cette pharmacienne d'hôpital qui a exercé treize ans aux Cliniques universitaires Saint-Luc répond en fait à un long mûrissement, à l'envie profonde de donner libre cours à sa créativité... Ce changement à 360° reste néanmoins dans les rails d'un parcours résolument hospitalier: "J'ai toujours été attirée par le monde de la santé et le milieu hospitalier. Beaucoup de gens n'aiment pas cet environnement mais moi je m'y suis toujours sentie bien, même si je ne le savais pas encore quand j'ai choisi d'étudier la pharmacie. Je me suis assez vite rendu compte que ce n'était pas l'officine qui m'intéressait, j'étais attirée par quelque chose de plus collectif et moins commercial. J'ai donc fait la spécialisation en pharmacie d'hôpital", précise-t-elle. Après un court détour par le Chirec et Erasme, Marie Loriaux débute sa carrière en 2006 à la pharmacie des Cliniques universitaires Saint-Luc: "J'y ai passé de belles années. C'est une grande structure où la pharmacie est un petit monde en soi, avec une équipe de près de 90 personnes. J'y ai travaillé 13 ans mais les cinq dernières années, je ne m'y retrouvais plus, la fonction n'était pas assez créative, j'avais beaucoup d'idées qui ne pouvaient pas trouver leur place dans mes tâches quotidiennes centrées sur la réception des prescriptions et leur délivrance". A l'époque, sa responsable de service l'autorise à faire quelques pas de côté en alimentant le site internet de la pharmacie, en créant un logo, en organisant des événements... "Ça a fonctionné un moment mais ça s'éloignait de la description de ma fonction... Quand je faisais des suggestions, on me ramenait assez logiquement à mon travail de pharmacienne". La rénovation de la pharmacie de Saint-Luc est le dernier projet qui lui a permis d'allier ses compétences en pharmacie à ses envies nouvelles: "J'étais très intéressée par m'en occuper et puis, surtout, je connaissais les produits, les impératifs de conservation, le côté précieux de certains médicaments... Une fois la pharmacie rénovée, il a fallu revenir à ma fonction première qui ne m'épanouissait plus. J'ai alors tenté ma chance en postulant en interne pour d'autres fonctions (stratégie, trajet patient informatisé...), mais mon profil rentrait difficilement dans les cases. Le service RH a vraiment été très compréhensif avec moi", reconnaît-elle. Alors qu'elle constatait l'échec de ses tentatives de mutation en interne, Saint-Luc lui propose de passer un bilan de compétences. "C'était la première étape de ma reconversion, estime Marie Loriaux en saluant son employeur. M'offrir ce bilan de réorientation c'était me dire qu'il souhaitait mon bonheur mais qu'il n'arrivait pas à me le donner. Je savais que je voulais faire autre chose mais je ne savais pas quoi. Ce bilan a mis en avant la fonction de 'chef de projet transversal'". Ensuite, "pour alimenter son sac à dos", comme elle dit, elle a suivi plusieurs formations allant du sketchnoting, aux flux logistiques, en passant par le coaching, la gestion du changement, le Lean Six Sigma (amélioration des processus), l'impression 3D... Une offre d'emploi des Cliniques de l'Europe qui cherchaient un(e) pharmacien(ne) lui ouvre une porte de sortie: pourquoi ne pas accepter ce poste de pharmacien dans une nouvelle institution où on ne la connaît pas en tant que pharmacienne hospitalière? "Lors de l'interview, j'ai expliqué que j'étais passionnée par la logistique, l'amélioration des flux, la gestion de projet, le transversal, le collectif, impulser de l'énergie dans des projets... La pharmacienne responsable me dit que ça l'intéresse, qu'elle cherche aussi quelqu'un comme moi. Et nous avons écrit ensemble la description de fonction adaptée pour qu'elle corresponde à mes souhaits!". En avril 2019, direction les Cliniques de l'Europe pour prendre une fonction de "support manager". "L'entreprise savait que j'étais pharmacienne, par conséquent, au début, on m'a demandé de m'occuper notamment du circuit du médicament dans le parcours d'accréditation. C'était peut-être le temps de me connaître et de jouer la sécurité. J'ai aussi participé au remplacement des chariots ARCA pour le service de réanimation. Ensuite, on m'a proposé un premier projet sans lien avec les médicaments: la certification Trauma center. Je n'y connaissais rien mais cela m'intéressait et ce fut passionnant. Pour le service des urgences, du quartier opératoire et des soins intensifs, on a établi des procédures facilitant la communication entre les professionnels. Nous avons obtenu la certification: c'était mon premier succès! Maintenant quand on me propose un projet, je n'hésite plus, même si je n'y connais rien!", s'enthousiasme-t-elle. Côté innovation, Marie Loriaux est chef d'un projet relatif au transport médical par drone, mené avec Helicus. Le pied pour celle qui se définit comme geek, qui adore la robotique et qui ne loupe pas un hackathon (elle en est à son 8e). "Safir-Med est un gros projet européen, futuriste, qui réunit des gens de l'aviation, une quinzaine d'hôpitaux, des fournisseurs (dont La Croix rouge de Belgique), des firmes... L'objectif est d'envoyer des colis contenant des médicaments urgents, des antidotes, des substances comme des poches de sang, des échantillons d'urine et de sang ou des petits éléments comme une vis qui manquerait au quartier opératoire. Le laboratoire clinique, la pharmacie et le magasin médical sont les premiers concernés par ce type de transport". Cette nouvelle technologie va aussi dans le sens d'une centralisation notamment des pharmacies hospitalières: "Ça ne m'effraie pas du tout. Certains groupes hospitaliers ont des pôles logistiques, je trouve que c'est l'avenir. J'aime le concept du réseau, l'idée de se mettre ensemble", confie-t-elle. En collaboration avec Roche, les Cliniques de l'Europe vont également créer un Centre d'innovation médicale, pour accueillir dans ses locaux des startups innovantes en santé, un 'ID-torium' pour aider ceux qui ne sont pas du secteur hospitalier à franchir les portes de l'hôpital. A côté des projets liés à l'innovation, Marie Loriaux a proposé aux Cliniques de l'Europe de se lancer dans le développement durable. "L'hôpital s'y intéresse depuis longtemps, beaucoup de choses étaient déjà en place mais elles manquaient de visibilité. Par exemple, la plupart des gens ne savaient pas qu'il y avait des panneaux solaires sur le toit de nos bâtiments. J'ai donc d'abord fait un recensement de tout ce qui était déjà mis en place et je l'ai partagé en interne et en externe. Le développement durable, ce n'est pas neuf pour l'hôpital mais j'y donne un coup d'accélérateur depuis janvier. Avec notre groupe de travail Green Europe, on s'attaque à tout d'un coup: les déchets, les achats, l'eau, l'énergie, les espaces verts, la biodiversité et la mobilité!" "Actuellement, le secteur hospitalier est un mauvais élève, il est responsable de 4% de la pollution mondiale. Pourquoi? Parce qu'on est les rois du plastique et de l'usage unique! De plus, comme nos déchets sont considérés comme contaminés, 100% sont incinérés. Aujourd'hui, à Bruxelles, grâce à la nouvelle loi, Brudalex, on va enfin traiter les déchets de soins, hospitaliers mais aussi ceux des infirmiers qui vont à domicile. On aura des consignes et on va enfin arrêter de mettre tous les plastiques, tous les emballages dans la poubelle destinée à l'incinération", se réjouit-elle. Après son bilan de compétences qui lui a permis d'entamer son repositionnement professionnel, ce changement d'employeur est la seconde étape de sa nouvelle vie à l'hôpital: "J'aurais aimé me reconvertir en interne à Saint-Luc parce que mon coeur est toujours là-bas, j'aime cette entreprise parce que le terrain de jeu y est très grand. J'ai dû faire ce sacrifice, cependant, je ne regrette ni mes études, ni ma spécialisation, j'y ai fait plein de chouettes rencontres et j'évoluais dans le secteur hospitalier, conformément à mes aspirations". Et comment Marie Loriaux voit-elle son avenir? "Aujourd'hui, je travaille pour deux hôpitaux dans mon institution, Sainte-Elisabeth et Saint-Michel à Bruxelles. Depuis 2019, on est obligé de se mettre en réseau, le mien comprend les Cliniques de l'Europe, Saint-Luc, Saint-Jean et Saint-Pierre Ottignies. J'aimerais travailler pour les quatre! Et après, j'arrête les reconversions!", promet-elle dans un grand sourire.