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En ce premier jour du printemps, elle est encore en pleine conversation téléphonique avec sa mère, à Damas. "En Syrie, c'est la fête des mères, aujourd'hui. Ici, c'est en mai, c'est bizarre. Mais asseyez-vous. Un café?" La convivialité n'est pas un vain mot dans cette maison. Nous sommes curieux d'apprendre l'histoire de cette pharmacienne syrienne, qui a fui son pays, comme tant de ses compatriotes. Commençons par le début: pourquoi a-t-elle opté pour des études en pharmacie? "Je voulais travailler dans le secteur des soins de santé et pour pouvoir entamer des études de médecine ou de dentisterie en Syrie, il faut présenter un excellent bulletin. J'avais la possibilité d'étudier la dentisterie à Homs ou à Alep mais comme ma famille habitait à Damas, je me suis rabattue sur la pharmacie. Chez nous, ces études durent cinq ans et équivalent à un baccalauréat en Belgique. J'ai toujours aimé étudier mais je n'ai jamais travaillé en officine. En Syrie, je donnais des cours pratiques aux étudiants." "Malheureusement, la situation est devenue vraiment dangereuse. Je n'étais plus en sécurité et j'ai décidé de fuir la Syrie." Sans détailler la route suivie, elle reconnaît: "C'était clair pour moi: l'Europe occidentale représentait mon seul espoir d'une vie meilleure. Ce n'est qu'en chemin que j'ai choisi la Belgique et j'y suis arrivée, heureusement." Elle n'est pas la seule de sa famille à avoir fui sa patrie... Arrivée en Belgique, Ghazal Kudaimi a dû suivre toute la procédure administrative avant d'obtenir la protection sollicitée: le Petit-Château, des centres d'accueil à Sijsele et à Heusden-Zolder. "J'ai rapidement commencé à suivre des cours de néerlandais. Ils ont sans doute été la partie la plus ardue de tout le processus. J'aime étudier mais votre langue n'est vraiment pas simple. Un moment donné, assise dans le bus, je me suis demandé si j'oserais un jour m'exprimer en néerlandais." Dit-elle tout en racontant son histoire dans un néerlandais dépourvu du moindre accent. Dès qu'elle a obtenu un statut, elle a effectué deux autres pas importants dans son processus d'intégration: elle a entamé une procédure afin que son fils puisse la rejoindre et elle a cherché un logement. "J'éprouve une profonde reconnaissance envers les Limbourgeois car ils m'ont donné le sentiment d'être la bienvenue. Les habitants d'Eksel puis de Hechtel, où nous habitons maintenant, nous ont vraiment aidés. Ça me fait chaud au coeur", confie-t-elle. Ghazal Kudaimi a obtenu son permis de séjour et a pu faire venir son fils en Belgique mais ce n'est pas tout. En 2017, elle a repris ses études. "Comme je vous l'ai dit, mon diplôme syrien équivaut à un baccalauréat. Je suis fière d'être pharmacienne et je voulais poursuivre ma carrière en Belgique mais encore fallait-il que mon diplôme soit reconnu ici. Via-via, je suis entrée en contact avec un professeur syrien de la VUB, Mohammed Salman. Je lui suis très reconnaissante de son soutien. Il m'a permis d'entamer mon master." Ces trois années d'études n'ont pas été une sinécure: "Souvent, je me suis dit que j'allais arrêter mes études. Je devais me rendre à Bruxelles tous les jours. Je ne comprenais pas les cours et je devais tout traduire en arabe pour pouvoir assimiler la matière. En plus, je devais m'occuper de mon fils. Ce n'était vraiment pas facile. Ensuite, j'ai dû trouver une officine pour mon stage. Une fois encore, j'éprouve une grande reconnaissance envers mon entourage, mes maîtresses de stage Tine Martens à Eksel et Katrien De Bruyne à Bourg-Léopold. Elles ont toutes deux fait preuve de bonté", dit-elle en plaçant la main sur son coeur. Elle devait encore rédiger sa thèse. "La pandémie a débuté alors que je l'achevais. Pouvais-je quand même la présenter? C'était très stressant." L'issue a été positive: Ghazal Kudaimi a obtenu 15/20. La déclinaison de son parcours illustre la combativité de notre hôtesse. Comme la suite de son histoire. "J'ai bénéficié du soutien de diverses instances mais ensuite, j'ai tenu à gagner ma vie par mes propres moyens. J'ai déjà travaillé à plusieurs postes: dans une officine hospitalière et dans plusieurs pharmacies. En Syrie, j'avais toujours cru que le travail en officine était monotone et je n'avais donc jamais cherché ce genre d'emploi mais à Bourg-Léopold (chez Claudy Meysen et Katrien De Bruyne, EB), j'ai découvert à quel point le contact était agréable, à quel point on est gentil et serviable. J'aime m'occuper des préparations magistrales, une autre chose que je n'avais quasiment jamais faite auparavant." Ghazal Kudaimi (son prénom signifie "charmer") n'en couve pas moins d'autres rêves. "L'aspect scientifique de la pharmacie m'a toujours passionnée. Un jour, je passerai peut-être mon doctorat", confie-t-elle. Aimerait-elle tenir sa propre officine? "Oh, pourquoi pas? A condition de gagner au Lotto", rétorque-t-elle en riant. Pour l'heure, place à la convivialité à la syrienne. "Vous ne pouvez pas partir avant d'avoir goûté nos sucreries. C'est notre façon de vous souhaiter la bienvenue. Servez-vous, vous devez tout goûter." Je m'en tiens à un bonbon salé mais Sadeq en déguste plusieurs sans dissimuler son plaisir. ?ukran.