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Si les cytochromes P450, leur grande variabilité et leurs fonctions (dégrader, détruire, métaboliser) sont connus depuis longtemps, la glycoprotéine P (P-gp) a été découverte plus récemment. " Il y a environ 45 ans, des chercheurs se sont aperçus que les médicaments chimiothérapeutiques était évacués par les cellules tumorales de façon active, induisant un phénomène de résistance (MDR, résistance multiple aux médicaments). On a ensuite constaté que c'était la même chose pour certains antibiotiques, antiviraux... ", a expliqué le Pr Jean-Marie Maloteaux, président du CBIP. La glycoprotéine P est un transporteur ATP dépendant, présent dans certaines membranes cellulaires, qui élimine de la cellule des substrats (produits du métabolisme cellulaire, toxines, médicaments). "Elle diminue l'absorption intestinale des substrats, augmente leur élimination hépatique et rénale, et diminue la diffusion des substrats au niveau de la barrière hémato-encéphalique, dans les lymphocytes, les testicules ou le placenta", poursuit-il. "Certains médicaments activent l'expression de la glycoprotéine P, ce sont des inducteurs qui de façon très lente vont augmenter le taux de P-gp. Ce qui explique qu'après quelques semaines, les substrats seront plus rapidement éliminés. D'autres médicaments sont des inhibiteurs, ils se fixent sur ce transporteur et l'empêchent de fonctionner. Dans ce cas, des substances toxiques s'accumulent dans la cellule, entraînant rapidement un risque de toxicité."Dans le répertoire du CBIP, le chapitre 6.3 de l'introduction, consacré aux interactions, reprend les principaux substrats, inhibiteurs et inducteurs de la P-gp et aussi ceux des cytochromes dont le CYP3A4, les deux fonctionnant en parallèle. Beaucoup de principes actifs repris dans ces listes agissent sur les deux systèmes. Ces informations sont particulièrement importantes pour les molécules à marge thérapeutique étroite. Au rang des substrats de la P-gp (les molécules qui sont éliminées), on retrouve des anti-VIH, les nouveaux anticoagulants oraux (apixaban...), des morphiniques, la ciclosporine, la colchicine, la digoxine, la dompéridone, le lopéramide... Au rang des inhibiteurs: les anti-VIH, antibiotiques macrolides, antimycosiques, ciclosporine, anti-arythmiques, anti-calciques et le pamplemousse. "C'est vraiment très important parce que ce sont les molécules les plus dangereuses en terme d'interaction parce qu'elles vont augmenter la concentration plasmatique du substrat et donc les risques", précise le président du CBIP. Au rang des inducteurs: carbamazépine, rifampicine, millepertuis... "Le millepertuis est particulier parce qu'il est enregistré comme médicament et comme complément alimentaire, or ce n'est pas un produit banal, puisqu'il stimule l'élimination de certaines molécules."Le Pr Maloteaux insiste sur les interactions avec la colchicine (inhibiteur) et sur celles avec les anticoagulants et la ciclosporine (inhibiteurs et inducteurs). "Dans les Folia, on a rapporté des cas d'intoxication par la colchicine lors d'interactions avec des inhibiteurs du CYP3A4 et de la P-gp. Il faut donc éviter de prescrire simultanément de la colchicine et un de ces médicaments (antibiotique, vérapamil, anti-VIH...). On la prescrit contre la goutte mais il y a beaucoup d'indications potentielles futures en cardio-vasculaire etc., cette molécule sera probablement remise au goût du jour."Quant aux anticoagulants oraux directs, s'ils sont pris avec un inhibiteur comme la clarithromycine, leur efficacité augmente et donc les risques de saignements. "Si on co-prescrit un inducteur comme la carbamazépine, la rifampicine ou le millepertuis, on va diminuer l'effet thérapeutique et augmenter le risque de thrombo-phlébite. Ces associations sont à éviter, soit on prend une alternative, soit on essaie de donner des doses plus faibles."Enfin, la ciclosporine: "Si on donne un inhibiteur de son élimination, on augmente sa concentration tissulaire or, c'est un médicament néphrotoxique aux doses élevées. Au contraire, si on donne un inducteur, comme le millepertuis ou la rifampicine, on va diminuer la concentration en ciclosporine", indique-t-il. Afin de montrer que ces protéines P-gp ont un rôle vraiment important en pharmacologie, le Pr Maloteaux prend l'exemple de la barrière hémato-encéphalique (BHE). "L'endothélium des capillaires du cerveau est tout à fait différent de celui des autres artères, il est beaucoup plus hermétique. La P-gp se trouve dans cette paroi et est extrêmement efficace pour réduire l'entrée des médicaments dans le système nerveux central."Cette situation peut être compromise dans trois cas, ajoute-t-il: "Par exemple les médicaments anti-émétiques, comme le métoclopramide ou la dompéridone (des antagonistes de la dopamine). Sur papier, ce sont des neuroleptiques (qui passent la BHE), alors qu'en réalité ce sont des substrats de la P-gp, qui à peine arrivés au contact de la BHE, sont évacués. Vous connaissez le cas de ces patients qui, après avoir pris du métoclopramide, présentent des phénomènes moteurs, parfois très spectaculaires, mais transitoires. Cela s'explique parce que le produit a passé cette barrière, soit parce que la dose était trop élevée, soit parce qu'il y avait un médicament qui interférait, soit une autre pathologie."Le lopéramide est un agoniste opioïde périphérique mais, à l'inverse des morphiniques, c'est un substrat très puissant de la P-gp et il ne passe pas la BHE. Sauf si la dose est élevée et/ou si on utilise un inhibiteur de la P-gp, auquel cas, il peut y avoir un effet central. Ces dernières années, la P-gp retient l'attention des chercheurs. Jean-Marie Maloteaux donne un exemple où la co-médication s'est avérée très utile: "L'anti-VIH saquinavir est rapidement éliminé. L'astuce utilisée il y a quelques années a consisté à combiner ce substrat de la P-gp à un inhibiteur comme le ritonavir."Autre piste, celle de la résistance aux médicaments qui s'explique de plusieurs façons mais dont un des mécanismes implique la réponse de la P-gp (résistance aux anticancéreux, anti-épileptiques, antiviraux, tolérance aux opioïdes...). Enfin, actuellement, on suspecte également un rôle de la glycoprotéine P dans l'élimination du b-amyloïde du cerveau. "De nouveau, ce n'est pas la seule explication mais il y là un aspect très important concernant la compréhension des mécanismes d'élimination des substances toxiques", conclut-il.