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Vous avez dit "psychédéliques"? Ce mot qui vient du grec signifie "qui révèle l'âme". "Ce sont des substances de la famille des psychotropes, qui induisent des expériences psychédéliques, c'est-à-dire un état de conscience modifiée avec des débordements d'idées, des distorsions, des intensifications de la perception, des hallucinations psycho-sensorielles", précise la Dr Astrid Kaiserman, médecin en dernière année de spécialisation de psychiatrie adulte à l'ULB. "Le LSD, molécule de synthèse utilisée de manière récréationnelle, induit des gros trips, avec des hallucinations... La psilocybine est le composé actif des champignons hallucinogènes. La MDMA, le composé pur dans l'ecstasy, n'est pas typiquement un psychédélique, c'est plutôt un empathogène, une molécule qui va renforcer la relation de confiance entre le thérapeute et le patient et ainsi permettre d'aller chercher plus loin dans les souvenirs enfouis." Les psychédéliques sont-ils de la drogue? "Oui, répond-elle, dans le sens où ce sont des substances psychotropes mais elles ont un profil d'action et d'usage assez différent de ce qu'on pourrait croire. Par exemple, il n'y a pas d'addiction et le profil des utilisateurs diffère de celui de ceux qui prennent des substances addictives. Souvent, ils ne sont pas pris quotidiennement, et surtout, on n'est pas dans une recherche régulière de nouvelles défonces, on cherche de nouvelles sensations, dans une volonté d'introspection. Il y a très peu de toxicité et pas de mort par overdose. De manière générale, il y a peu de dégâts." Actuellement, on assiste à une "renaissance psychédélique" et, depuis les années 2000, de plus en plus de pays font des études avec de la thérapie assistée par psychédélique sur les TOC, les troubles cyclothymiques, les troubles de l'usage, l'anxiété, les troubles psychiatriques de fin de vie... "Le trip psychédélique c'est un voyage dans sa conscience qui fonctionne différemment de d'habitude, explique la Dr Kaiserman. C'est pour ça qu'on a des hallucinations, des expériences mystiques, et qu'on peut avoir des reviviscences de traumas. C'est un travail qu'on apparente souvent à une psychothérapie très intense, très chaotique. Mais ce trip n'est pas toujours agréable, on peut avoir de l'anxiété transitoire... Ça fait partie du travail." Le patient peut aussi avoir un insight sur sa propre manière de fonctionner et une sensation transcendante de connexion universelle. Thérapeutiquement, il y a une diminution de la suicidalité, du neuroticisme et de l'évitement, et une augmentation de l'acceptation. "Au niveau cognitif, il y a plus de flexibilité psychologique. L'hypothèse c'est qu'il y a moins de connectivité intra-réseau après administration de la psilocybine, mais il y en a plus entre les réseaux. Le cerveau est donc connecté différemment, c'est vraiment le point essentiel: dans un contexte psychédélique, il a le potentiel d'agir différemment et on voudrait utiliser ce potentiel-là." Les deux principales applications concernent la dépression, avec de l'Ayahuasca et de la psilocybine, et le syndrome de stress post traumatique (SSPT), avec la MDMA. "C'est super intéressant parce que les études sur la thérapie assistée par psilocybine dans la dépression résistante sont en phase IIB (la FDA projette une autorisation en 2025). Pour la MDMA dans le SSPT, on est en phase III, elle pourrait donc être sur le marché fin 2023 aux États-Unis: ce n'est pas de la science fiction! Cela a gagné le statut de 'breakthrough therapy', accordé par la FDA pour des recherches aux résultats particulièrement prometteurs", commente-t-elle. "On donne une à maximum 3 doses. Ce traitement se veut traiter la cause beaucoup plus fondamentalement qu'un traitement symptomatique: c'est très intéressant au niveau de l'adhésion, de l'efficacité et du peu d'effets secondaires", poursuit-elle. Les pathologies cardiaques, les troubles bipolaires/psychoses et la suicidalité active sont néanmoins exclues par prudence. "On accompagne le patient dans un voyage. Le set c'est l'état émotionnel interne (humeur, pensées, attentes, intention... du patient), le setting c'est l'environnement physique et social qui doit être apaisant". Le patient est installé dans une chambre, sur un lit, un masque sur les yeux et un casque sur les oreilles pour diffuser de la musique calme. Le thérapeute intervient avant, pendant et après le trip: "Des semaines avant, on prépare le voyage avec le patient. Pendant, on est là pour le suivre et le guider, c'est non directif. Tout de suite après, on fait l'intégration des réponses ou éléments de réponse obtenus et on voit comment en faire un sens avec le patient (comment l'utiliser pour sortir de ses schémas habituels, de son addiction...). On est à mi-chemin entre un traitement pharmacologique et une psychothérapie très intense, parce qu'il y a cet effet de voyage à travers l'inconscient qui permet au patient de faire le travail", souligne la psychiatre. Lors de ce séminaire, Laetitia Vanderijst, psychologue et aspirante FNRS à l'ULB, a présenté l'étude Psilocybin-Assisted Therapy for Severe Alcohol Use Disorder qui va débuter au printemps prochain dans l'unité d'alcoologie du Service de Psychiatrie de l'Hôpital Brugmann. L'objectif est de développer l'infrastructure et l'expertise sur cette thérapie en Belgique, d'en évaluer la faisabilité et la sécurité et d'obtenir des données préliminaires sur son efficacité et ses mécanismes.