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En Belgique, petit à petit, la fenêtre s'ouvre sur une participation plus active des pharmaciens à la vaccination. Ils peuvent prescrire et délivrer le vaccin antigrippe et depuis peu, ils peuvent vacciner contre le Covid-19. Quels enseignements peut-on tirer de l'expérience à l'étranger et quel pourrait être le cadre légal entourant cette pratique dans notre pays? Telle est la thématique au centre du travail de fin d'étude (TFE) d'Anne-Lise Delwaide, étudiante en master 2 en Sciences pharmaceutiques (Finalité spécialisée en gestion officinale et perspectives professionnelles) à l'Université de Liège (Pr Frédéric Lecomte, promoteur). Défendu en janvier dernier, son travail intitulé "Analyse du cadre légal de la vaccination par le pharmacien d'officine à l'étranger et transposabilité au système belge" lui a valu la plus grande distinction, les félicitations du jury... et une proposition de doctorat en pharmacie à l'ULiège afin d'explorer les nouveaux services qui pourraient s'implanter à l'avenir en officine. "Il y a un an, je ne m'attendais pas à avoir autant d'opportunités! J'ai toujours été très ouverte d'esprit par rapport aux possibilités de carrière. J'ai de l'intérêt pour l'officine parce qu'il y a le contact patient, l'aide au comptoir... mais on peut faire tellement de choses. Pendant mes études, je me suis par exemple également intéressée à l'industrie et aux études cliniques. Et, finalement, aujourd'hui, je suis partie pour faire tout à fait autre chose!" "Dans le cadre de mon travail de fin d'étude, j'ai abordé la thématique de la vaccination par le pharmacien d'officine en Belgique, d'un point de vue légal. Ce sujet m'a particulièrement intéressée parce que j'ai toujours voulu voir les perspectives qu'on pourrait avoir en tant que pharmacien, comment faire évoluer le métier. C'est comme ça que j'en suis venue à choisir ce sujet", précise l'étudiante liégeoise. Elle a donc analysé l'expérience de plusieurs pays qui confient déjà des missions de vaccination aux pharmaciens d'officine, notamment en France, Suisse, Portugal, Irlande, Royaume-Uni et au Canada. L'objectif étant de réaliser une étude comparative pour démontrer la faisabilité légale de cette nouvelle prestation en Belgique et de proposer un cadre légal potentiel. "Les conditions à remplir par les pharmaciens pour être autorisés à vacciner sont assez similaires entre les pays examinés. Elles comportent cinq piliers communs: l'obligation pour les pharmaciens de suivre une formation relative à la vaccination, la nécessité d'un aménagement spécifique au sein de l'officine, la déclaration de leur activité vaccinale auprès de l'Ordre des Pharmaciens ou des autorités compétentes, la mise en place de procédures précises concernant l'acte vaccinal et l'élaboration d'un système de traçabilité post-injection". Première obligation: être formé à la vaccination. "Globalement, entre les pays analysés, les formations sont semblables: il y a toujours une partie théorique (immunisation, vaccins, contre-indications...) et une partie pratique où les pharmaciens apprennent l'acte vaccinal, depuis la pré-administration, jusqu'à l'administration et la post-administration, avec un focus sur la gestion des effets indésirables, même ceux qui sont plus rares, comme le choc anaphylactique". Il faut également un aménagement spécifique dans l'officine: "Dans tous les pays analysés, il y a un local clos, confidentiel, qui doit contenir tout le matériel nécessaire. Chez nous, l'AR de 2009 portant instruction pour les pharmaciens, prévoit un espace confidentiel, mais il n'est pas nécessairement clos et pas spécialement adapté à la vaccination. C'est peut-être un frein, dans tous les cas, il y a une adaptation à faire en Belgique". "Tous ces pays ont un manuel reprenant toutes les procédures de façon détaillée. En Belgique, certains documents ont déjà circulé comme les SOP (Standard Operating Procedures) qui sont assez semblables à celles que j'ai consultées à l'étranger. Et ils ont tous un système de traçabilité, assurant à la fois la communication interprofessionnelle et la traçabilité des vaccins", explique-t-elle. Le cadre légal définit le type de vaccins que le pharmacien peut administrer et les publics cibles. "Il y a deux tendances: celle de la France et la Suisse qui vaccinent à partir de l'âge de 16-18 ans et celle des quatre autres pays qui vaccinent dès l'enfance. Tous autorisent la vaccination contre le Covid-19 et la grippe, certains en autorisent aussi d'autres (vaccination des voyageurs, vaccins contre l'hépatite A et B, le pneumocoque, le méningocoque, le papillomavirus...). Chez nous, étant donné leur bonne couverture vaccinale, la vaccination des enfants n'est pas une priorité en pharmacie et, à l'instar de ce qui se fait à l'étranger, les personnes qui ont un antécédent de choc anaphylactique, d'allergie, qui ont des contre-indications à la vaccination, seraient orientées vers le médecin". Quant aux types de vaccins que le pharmacien pourrait administrer, en Belgique, celui contre la grippe pourrait être autorisé en priorité. "Et, à l'avenir, selon le déficit de couverture vaccinale repéré par rapport aux recommandations internationales, pourquoi pas le rattrapage de la vaccination contre l'HPV? A la pharmacie, on a un contact particulier avec les jeunes filles, notamment parce qu'on est autorisé à délivrer spontanément la contraception d'urgence. Cela pourrait accompagner ce conseil. Et pourquoi pas les doses de rappel antitétanique chez l'adulte et le pneumocoque...?", s'interroge l'étudiante. "Il s'est avéré que notre système de soins de santé pourrait facilement implémenter cette nouvelle activité pour le pharmacien d'officine qui le désirerait. Les cinq exigences de base communes aux différents pays examinés sont en effet transposables aisément dans notre pays. Des formations post-grade spécifiques sur la vaccination ont déjà été mises en place par les sociétés scientifiques francophones et néerlandophones, et les universités se prêtent également facilement à la mise en place de cet apprentissage, non seulement pour la partie théorique mais également pratique", conclut-elle dans son mémoire. Son travail a conduit Anne-Lise Delwaide à participer à la conception de la formation à la vaccination à destination des master 2, en collaboration avec la Pr Geneviève Philippe et le centre de simulation médicale du CHU de Liège. Après avoir suivi la partie théorique par e-learning, les étudiants participeront à 5 ateliers pratiques, les 9 et 30 mai prochains: dans la pharmacie didactique, ils pourront se familiariser avec la procédure vaccinale sur un simulateur procédural (un faux bras) ; dans le centre de simulation, il y aura un atelier sur le malaise vagal avec un patient simulé (un acteur) ; un atelier choc anaphylactique sur un patient simulé haute-fidélité et un atelier sur la réanimation cardio-pulmonaire. "Le tout sous la supervision d'un médecin ou d'un infirmier: c'est une obligation prévue dans le projet de loi, qui permet aussi une meilleure collaboration interdisciplinaire". "En Belgique, le principal frein pourrait être dû au fait qu'il n'y a pas assez d'officine qui se prête à la vaccination, que ce soit au niveau du nombre de personnel présent dans la pharmacie, la présence d'un local clos confidentiel assez grand ou de la formation à l'acte vaccinal. Le but étant d'augmenter l'accessibilité à la vaccination pour la population, un nombre suffisant de pharmacies proposant cet acte serait nécessaire", note Anne-Lise Delwaide dans son mémoire. "Un second problème repéré en officine concerne la vaccination contre le Covid, pour laquelle 6 doses sont à préparer à partir d'une fiole, lesquelles ne sont utilisables que pendant 6 heures. Cela nécessite une gestion particulière des rendez-vous et de la patientèle. Cependant, pour les autres vaccinations, notamment antigrippale, ce problème ne se pose pas". Cela pourrait coincer également chez certains médecins. "Cependant, l'Académie royale de médecine a publié un avis positif en 2019 pour la vaccination antigrippale et, en 2021, pour la vaccination contre le Covid. Les craintes de certains médecins généralistes pourraient être apaisées par la récente loi qui intègre une formation à la gestion des effets indésirables". Pour Anne-Lise Delwaide, avoir la possibilité de se faire vacciner en officine devrait par contre être bien accueilli par la population. "Cela permettrait notamment de contrecarrer les problèmes d'accessibilité et de supprimer les 3 trajets nécessaires pour se faire vacciner (prescription par le médecin, délivrance en pharmacie et retour chez le médecin pour l'injection, avec le risque de rupture de la chaîne du froid), d'informer par rapport à l'hésitation vaccinale... En outre, en pharmacie, le but ne serait pas de vacciner nécessairement sur rendez-vous, ce qui permettrait de s'adapter aux horaires de tout le monde et d'augmenter l'accès à la vaccination". Dernier point: confier des actes de vaccination aux pharmaciens comporte de nombreux avantages. "Cela pourrait potentiellement augmenter la couverture vaccinale qui, en Belgique, est inférieure aux recommandations internationales, pour certaines pathologies. Cela pourrait aussi aider à lutter contre la surcharge des soins de santé, notamment dans certaines périodes comme pour la vaccination antigrippale qui se fait sur un délai court (octobre à mars), ou si on est amené à ajouter à la grippe des doses de rappel contre le Covid. De plus, la vaccination en pharmacie permettrait de toucher un public plus large dont par exemple des personnes qui n'ont pas de médecin généraliste attitré, à Bruxelles, cela concerne 30 à 50% de la population. L'acte vaccinal par le pharmacien se réaliserait réellement dans une optique de co-disciplinarité, et non pour empiéter sur le métier des autres professionnels de soins." A l'aube de se lancer dans un doctorat pour explorer les voies d'avenir, Anne-Lise Delwaide imagine que des nouveaux services pourraient avoir trait à l'éducation thérapeutique: par exemple, former la population au bon usage des médicaments, sur le modèle des BUM asthme, donner des conseils diététiques aux patients diabétiques, en collaboration avec une diététicienne, ou pourquoi pas des conseils sur les infections sexuellement transmissibles, en collaboration avec un(e) gynécologue?