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Les troubles du sommeil (e.a. une réduction du temps de sommeil nocturne, un sommeil fragmenté, des errances nocturnes et une somnolence diurne) sont un problème fréquent chez les personnes atteintes de démence, et il n'est pas rare qu'ils induisent des frais de santé accrus mais aussi davantage de stress chez les soignants et les aidants proches. Ils sont en outre associés à un placement plus précoce dans une institution spécifiquement axée sur une patientèle souffrant de démence. Même s'il convient d'envisager en première instance une approche non médicamenteuse, celle-ci s'avèrera souvent insuffisante, avec à la clé la demande d'une solution pharmacologique. Sachant que les troubles du sommeil pourraient être la conséquence de modifications du cerveau induites par la démence, on peut toutefois se demander si les somnifères traditionnels sont vraiment la meilleure solution dans ce groupe de malades. On ignore aussi à ce jour si ces produits peuvent être responsables d'effets secondaires (plus) sévères dans cette population cliniquement vulnérable. Cette revue Cochrane a inclus des recherches comparant la prise d'un somnifère à un traitement placebo chez des patients porteurs, au début de l'étude, d'un diagnostic de démence et de troubles du sommeil. L'analyse a inclus des participants indépendamment de l'âge, du sexe et du lieu de résidence (domicile ou institution). Les principaux critères d'évaluation étaient les paramètres objectifs du sommeil, mesurés par polysomnographie ou actigraphie (enregistrement des mouvements par un mini-ordinateur porté au poignet comme une montre), une approche souvent plus facile à implémenter chez les patients souffrant de démence. Les résultats objectifs pris en considération étaient le temps de sommeil nocturne total, la plus longue période de sommeil nocturne ininterrompue, l'efficience du sommeil, le nombre et la durée des réveils nocturnes, la latence d'endormissement et le rapport sommeil diurne/sommeil nocturne. Les effets secondaires étaient une autre mesure de résultat importante. Les auteurs ont identifié neuf études portant sur un total de 649 participants, qui se sont intéressées à la prise de mélatonine (5 études), de trazodone (un antidépresseur sédatif, 1 étude), de rameltéon (un agoniste des récepteurs de la mélatonine, 1 étude) et enfin de deux antagonistes de l'orexine, le suvorexant et le lemborexant (2 études). Les personnes enrôlées dans la plupart des études sur la mélatonine et dans celle sur la trazodone présentaient une démence modérée à sévère, tandis que les participants des études sur le rameltéon et sur les antagonistes de l'orexine souffraient d'une forme légère à modérée. Ils étaient tous confrontés au début de l'étude à divers troubles du sommeil courants. Seules quatre études ont examiné les effets secondaires de façon systématique dans le groupe intervention et dans le groupe contrôle. Des doses de mélatonine jusqu'à 10 mg pourraient n'avoir que peu ou pas d'effet sur la durée totale du sommeil nocturne (397 min. de sommeil sous placebo vs 408 sous mélatonine, IC 95% de 381 à 435 min. - deux études, 184 participants, faible niveau de certitude) ou sur le rapport sommeil diurne/nocturne. La différence entre placebo et mélatonine pourrait également être limitée voire inexistante en ce qui concerne l'efficience du sommeil, le nombre et la durée des réveils nocturnes et la durée moyenne des périodes de sommeil. Aucun effet indésirable sérieux n'a été rapporté avec la mélatonine. L'étude sur la trazodone était un travail à petite échelle sur 30 participants avec une démence modérée à sévère. Une faible dose de trazodone (50 mg) pendant deux semaines pourrait accroître la quantité totale de sommeil nocturne (282 min. de sommeil sous placebo vs 324 sous trazodone, IC 95% de 283 à 366 min. - 1 étude, 30 participants, faible niveau de certitude) et l'efficience du sommeil (DM +8,53%, IC 95% de +1,9 à +15,1%). L'effet sur la durée du temps de veille au cours de la nuit (après endormissement initial) est incertain, et la différence par rapport au placebo pourrait être faible ou nulle en ce qui concerne la fréquence des réveils et la durée de sommeil diurne. Là non plus, aucun effet indésirable sérieux n'a été rapporté. Les données du petit essai de phase II portant sur le rameltéon (74 participants) ne sont connues qu'au travers d'une synthèse disponible sur le site du sponsor. Le niveau de certitude des preuves était jugé faible et rien ne permettait de conclure à un effet marqué de cette molécule sur les paramètres du sommeil. Il n'y avait pas d'effets secondaires sérieux. Chez les personnes souffrant d'une démence légère à modérée, un antagoniste de l'orexine permet probablement d'accroître la durée totale du sommeil nocturne (+45,2 min. de sommeil sous placebo vs +73,4 min. sous antagoniste de orexine par rapport aux valeurs de départ, IC 95% de 46,3 à 90,5 min. de sommeil supplémentaire - 1 étude, 274 participants, niveau de certitude modéré) et d'abaisser la durée de veille pendant la nuit (DM -15,7 min., IC 95% de -28,1 à -3,3 min.). Ce traitement n'a toutefois probablement pas ou guère d'effet sur le nombre de réveils. Son utilisation pourrait être associée à une faible amélioration de l'efficience du sommeil, mais n'influence probablement pas ou guère la durée moyenne des épisodes de sommeil. Les antagonistes de l'orexine n'augmentent probablement pas le risque d'effets secondaires. Cette revue permet surtout de mettre au jour les lacunes des données scientifiques qui devraient permettre d'alimenter des directives pour le recours aux traitement médicamenteux dans la prise en charge des troubles du sommeil chez les personnes souffrant de démence. Les auteurs n'ont tout d'abord pu identifier aucun essai randomisé et contrôlé portant sur des traitements fréquemment prescrits dans cette indication comme les benzodiazépines et les sédatifs appartenant à d'autres classes. Par ailleurs, les études identifiées incluaient uniquement des personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer et leurs conclusions ne peuvent donc pas être extrapolées à d'autres formes de démence qui peuvent pourtant elles aussi s'accompagner de troubles du sommeil. L'un des critères les plus importants pour les soignants sur le terrain - un sommeil ininterrompu - n'a en outre été rapporté dans aucune étude. Les effets secondaires devraient également encore faire l'objet d'un examen systématique dans des études futures. Chez les personnes souffrant d'une démence modérée à sévère causée par la maladie d'Alzheimer, la mélatonine n'a vraisemblablement pas ou peu d'effet, tandis qu'une faible dose de trazodone pourrait améliorer le sommeil. Dans les formes légères à modérées, les antagonistes de l'orexine améliorent probablement le sommeil à certains égards. Les conclusions pour la pratique restent à ce stade plutôt limitées. Lorsqu'une approche non médicamenteuse reste sans effet, on pourra envisager le recours à la trazodone dans les formes modérées à sévères de la maladie d'Alzheimer et aux antagonistes de l'orexine dans les formes légères à modérées pour traiter les troubles du sommeil. Il conviendra toutefois de peser soigneusement les risques respectifs du traitement et de l'abstention thérapeutique.