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Son histoire a commencé il y a six décennies à Charleroi, une ville qui reste omniprésente dans ses gravures et ses livres. "Même si cela fait plus de 40 ans que je vis à Bruxelles, je reste Carolo dans l'âme. Enfant, je me souviens avoir accompagné ma maman lorsqu'elle est allée chercher son passeport au consulat d'Italie. Lorsque j'ai eu l'occasion il y a quelques années de revoir le bâtiment, L'Alba, c'était devenu une véritable ruine. Il a aujourd'hui été racheté par Melanie de Biasio, qui veut en faire une galerie doublée d'une résidence d'artistes. J'ai saisi l'occasion pour consacrer à l'endroit un livre de gravures, dont j'ai offert un exemplaire à Melanie." Ce n'est pas un exemple unique dans l'oeuvre de l'ex-pharmacienne. Elle tient son nom de famille espagnol de son papa, originaire de Tétouan dans le nord du Maroc. "J'ai un jour intégré son parcours, de Tétouan à Charleroi via Ceuta et le Détroit de Gibraltar, dans une gravure sur le thème des frontières", explique-t-elle. "Je suis sans cesse en quête d'histoires. Fernand Léger a dit un jour que la beauté est partout, et j'en suis moi aussi convaincue. Qu'il s'agisse de sculpter le bois ou la pierre bleue, de réaliser des gravures ou de relier des livres, je ne cherche jamais à maquiller les imperfections d'une racine: pour moi, elles font partie intégrante du résultat final. De même, j'ai consacré un petit livre à Mes amis de la rue, des sans-abri rencontrés au cours de mes activités de bénévole pour Médecins du Monde, et je travaille aussi de longue date autour du thème de la violence envers les femmes." Une gravure de Marina Cerralvo (voir photo) a été récemment présentée lors de l'exposition "Rendre visible l'invisible" à la maison communale de Schaarbeek. "Je suis vraiment fière que mon oeuvre ait été sélectionnée. Ce sont souvent des personnes de mon entourage ou des profs de l'Académie qui doivent me pousser à soumettre mes créations en me disant que c'est une opportunité à saisir. Et au fond, pourquoi pas? J'ai déjà plusieurs fois eu la chance de participer à des expositions, y compris à l'étranger. Actuellement, j'en prépare d'ailleurs une en Catalogne." Si Marina Cerralvo a aujourd'hui l'occasion de suivre des formations artistiques et de se concentrer sur ses talents créatifs, c'est avant tout grâce - ou à cause - d'un traumatisme qui l'a frappée de plein fouet dans sa vie professionnelle. "En 2015, à l'époque où j'étais encore gérante d'une pharmacie dans le quartier de la place Sainte-Catherine à Bruxelles, j'ai été brutalement agressée pour la troisième fois en peu de temps. Mon assaillant m'a gravement blessée à la main gauche avec un couteau de boucher, mais j'ai pu fuir et mes voisins marocains ont réussi à le maîtriser pour le livrer à la police. L'individu n'en était apparemment pas à son coup d'essai, puisqu'il avait déjà été condamné à 22 ans de prison et s'était rendu coupable de deux meurtres." L'incident a été lourd de conséquences: au-delà des opérations et de la longue rééducation nécessaires pour récupérer le plus possible l'usage de sa main, Marina Cerralvo a aussi souffert de stress post-traumatique. "Moi qui avais toujours pris plaisir aux contacts sociaux propres à mon métier, j'ai soudain eu du mal à gérer cet aspect. À chaque fois que je voyais un type en capuche, les images de l'agression me revenaient en mémoire. Aujourd'hui, heureusement, je vais mieux - et ma main aussi, même si j'ai perdu l'usage de mon pouce et de deux doigts." Lorsqu'elle repense aux suites de l'incident, Marina Cerralvo ne peut pas s'empêcher de ressentir une certaine déception. "Pas vis-à-vis de mon agresseur, mais de ma patronne. Elle m'a toujours payée correctement au cours de mon congé-maladie, mais pas une fois elle ne m'a demandé comment j'allais. J'aimais mon travail et je n'avais pas l'intention d'arrêter malgré les événements, mais quand on ne reçoit pas le moindre signe d'empathie..." "Quelques mois plus tard, une agression comparable sur un médecin a soudain braqué tous les projecteurs (notamment médiatiques) sur la problématique de la violence à l'encontre des médecins. À l'époque, j'ai envoyé un mail à l'APB pour leur demander pourquoi ils n'avaient pas pris la balle au bond. Je n'ai jamais eu de vraie réponse. Il reste donc bien des progrès à faire, car je ne suis pas un cas isolé." On ne sent toutefois aucune rancoeur dans son discours. "La dame qui a suivi mon dossier administratif à l'ONEM savait que je fréquentais déjà l'Académie avant mon agression et elle m'a encouragée à poursuivre dans cette voie. C'est aussi pour cela que je peux dire aujourd'hui que ces événements m'ont poussée sur un nouveau chemin et que j'ai pu donner un tour positif à une expérience qui ne l'était pas." Son premier projet de reliure était un recueil de gravures représentant des mains dans différentes poses et sous différents angles - une vue du dos de la main, un poing fermé, un V de la victoire éloquent pour clôturer. "J'en ai offert un exemplaire à toutes les personnes qui m'ont aidée à surmonter cette période difficile: le chirurgien, le kiné, le psychologue, mon papa, mon mari, mes enfants." On a peine à croire qu'en secondaire, Marina Cerralvo a été poussée vers une filière technique. "À un moment donné, j'en avais marre de l'école et on a donc conseillé à mes parents de m'inscrire en technique. C'est ainsi que je me suis retrouvée à faire des études d'assistante en pharmacie, une filière encore toute récente, où des enseignants enthousiastes ont permis à mon amour des sciences de s'épanouir. Ce sont également eux qui m'ont convaincue que des études universitaires étaient à ma portée... et de fait, j'ai réussi mon examen de maturité et mon examen d'entrée. Je n'ai jamais regretté d'avoir choisi la pharmacie, bien au contraire, d'autant que c'est ainsi que j'ai rencontré mon mari. Si c'était à refaire, je n'hésiterais pas à recommencer le même parcours, la même carrière. Il m'arrive encore de croiser des (enfants de) patients que j'ai connus à l'époque où j'étais gérante de l'officine un peu plus loin. Au fond, c'est bien pour cela qu'on se donne tant de peine..."