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Tout a commencé par un sms reçu le 11 février: B-Fast (Belgian First Aid & Support Team), le groupe belge d'intervention humanitaire rapide, voulait savoir si Marie Deffense était disponible en vue d'un éventuel départ pour la Turquie qui venait d'être secouée par deux tremblements de terre très puissants. Le bilan est lourd (plus de 55.000 de morts, près de cent mille blessés et un million de déplacés) et les autorités turques sollicitent l'aide internationale. La Belgique propose un hôpital de campagne EMT-2 (Emergency Medical Team Type 2), d'une superficie équivalente à celle d'un terrain de football, et une équipe de volontaires. Tout le matériel est acheminé par des avions de la Défense depuis l'aéroport militaire de Melsbroek. C'est de là que Marie Deffense s'envole le jeudi 16 février. "Dès que B-Fast confirme qu'on est repris dans la mission, on a 48 h pour être opérationnel et on part pour une durée de 10 jours. Il a notamment fallu prévenir mes employeurs, obtenir leur accord pour partir et réorganiser le travail", explique la pharmacienne qui exerce à mi-temps dans une officine à Mont-sur-Marchienne et à mi-temps dans la pharmacie du CHU Namur, site Mont-Godinne. Consacrer du temps aux autres n'est pas quelque chose de neuf pour Marie Deffense qui a déjà travaillé pendant 2 ans en tant que volontaire pour Médecins du monde à Bruxelles. Et, il y a une dizaine d'années, en voyant que l'Etat belge avait créé un groupe d'aide humanitaire, elle décide de s'y inscrire et de suivre un programme de formation à Anvers de façon à être apte le moment venu. "Quand on rentre dans la base de données de B-Fast, dès qu'il y a une catastrophe naturelle (ils ne vont jamais dans un pays en guerre) et que le pays en question demande de l'aide, une équipe est mise en place. J'avais déjà été sollicitée pour Haïti en 2016, mais je n'avais pas été reprise. Ici, c'est la première fois que je participais à ce genre de mission." Le 16 février, l'avion cargo atterrit sur la base américaine d'Adana, soit à environ 180 km de Kirikhan, dans la province de Hatay, où l'hôpital de campagne de B-Fast est installé sur un site jouxtant l'hôpital local devenu inopérant. "Nous avons passé la nuit dans la base militaire et nous nous sommes mis en route le lendemain. Quand les premiers volontaires de la mission sont arrivés, vers le 9 février, la route était dans un état lamentable, ils ont mis près de 8 heures pour faire le trajet. Entre-temps, ils ont rebouché les trous et notre groupe n'a mis que 3h30". "Pendant les 150 premiers kilomètres, c'est le paysage classique de la Turquie, avec ses champs d'oliviers et d'agrumes, et puis, plus on approche de Kirikhan, plus on voit de villages où les bâtiments sont certes encore debout, mais penchés et remplis de trous, et où les gens dorment dans des tentes devant leur maison. C'est assez impressionnant..." A Kirikhan, l'hôpital monté par les Belges se compose d'un service d'urgence, de consultations générales, d'un service de radiologie, d'un bloc opératoire, d'une pharmacie et d'un service "mère et enfant". Sans oublier la technique (générateurs d'électricité, purification de l'eau, citernes, cuisine...) et les tentes pour les membres de l'équipe de B-Fast. L'hôpital a fonctionné 24 heures sur 24 pendant 22 jours, soit entre le 16 février et le 9 mars, date à laquelle il a été donné à la Turquie. 3.500 patients y ont été pris en charge. "Le but de B-Fast était de pouvoir recevoir environ 100 personnes par jour, on l'a dépassé, on en a vu en moyenne 159 chaque jour. Près d'un tiers de ces patients étaient des enfants et il y a eu 8 naissances", précise Marie Deffense. "Je suis partie du 16 au 26 février, poursuit-elle, pour la première partie de la mission, la mise en place de l'hôpital, de toutes les tentes etc. L'idée était d'organiser la pharmacie de façon à ce qu'elle soit la plus opérationnelle, le plus rapidement possible. Nous étions deux pour nous en occuper, j'étais accompagnée par une pharmacienne de la Défense dont c'était aussi la première mission. La première phase a été consacrée au rangement des stocks de médicaments et de fournitures, reçus de la Défense et achetés par B-Fast en Belgique. Comme il gelait, on a dû trier les palettes en fonction du risque pour certains produits et s'organiser pour que le local soit chauffé. Ensuite, nous avons mis en place la dotation dans tous les services: bloc opératoire, soins intensifs, salle gynéco, urgences, deux hospitalisations de 10 lits et les consultations externes pour les traumatismes légers etc." "On disposait donc d'un stock de la Défense et d'un autre de B-Fast, et on pouvait refaire des commandes tous les 2 jours. Malgré ça, j'ai eu besoin d'aide plusieurs fois pour aller chercher des produits à l'extérieur de notre hôpital, dans une pharmacie de la ville (aux murs dangereusement lézardés). Par exemple pour prendre en charge une épidémie de gale pour laquelle nous n'avions pas de traitement, il a donc fallu trouver sur place de quoi soigner ces patients." Sur la centaine de personnes qui composaient l'équipe B-Fast, la moitié relevait du médical: chirurgiens, intensivistes, pédiatres, gynécos, urgentistes, infirmiers et les deux pharmaciennes. "Il y avait une équipe pour le triage à l'entrée, avec des traducteurs. On recevait les gens, on faisait un diagnostic précoce et puis on les envoyait soit aux consultations, soit aux urgences, soit au bloc opératoire en fonction du programme de la journée." Parmi les patients, beaucoup présentaient des fractures ouvertes et n'avaient pas encore été soignés depuis le tremblement de terre. "Ils arrivaient avec des bandages de fortune, on a dû faire beaucoup de débridements parce certains s'étaient recousus eux-mêmes. Il y a eu pas mal d'amputations. On a aussi assuré le suivi des femmes enceintes, celui des traitements chroniques... De plus, comme il faisait très froid, beaucoup souffraient d'infections respiratoires ou avaient la peau super sèche." Un cas a particulièrement marqué Marie Deffense, celui d'une petite fille dont un bras et un pied avaient été écrasés par un bloc de béton: "Je la vois encore arriver tout sourire, avec un bras pendant... On a dû lui amputer des orteils mais, si elle était arrivée plus tôt, on aurait peut-être pu sauver son bras. Quelle sera sa vie plus tard?", se demande-t-elle. Sur place, l'équipe belge a subi un nouveau tremblement de terre d'une force de 6,5 (celui du 6 février avait atteint une valeur de 7,6). "On l'a bien senti, même si on ne réalise pas tout de suite ce que c'est, reconnaît-elle. A ce moment là, ceux qui avaient vécu le premier épisode étaient en panique totale et des bâtiments qui avaient plus ou moins résisté sont tombés. Quant à l'hôpital qui était en face du nôtre, il est devenu totalement inutilisable. Naïvement, je n'avais pas pensé qu'il pourrait y avoir une nouvelle secousse! Il faut dire qu'on découvrait l'endroit, on s'est rendu compte qu'il s'agit d'une région sismique intense et que ça bouge tous les jours, le sismographe oscille toujours à 3-4... On a eu l'opportunité de faire un tour dans la ville, on a vu l'ampleur du désastre, des grands immeubles ouverts, des routes qui ont bougé... Il faut le voir pour le croire!" Quand elle arrive à Kirikhan, l'heure est encore aux déménagements: "La plupart des gens qui ont pu quitter la ville sont allés rejoindre leur famille dans d'autres régions. L'état turque avait mis dans le champ à côté de chez nous des tentes de fortune pour ceux qui restaient là, mais elles étaient chauffées au gaz avec des risques d'intoxication au CO et il n'y en avait pas pour tout le monde. Or, il gelait la nuit, la température descendait jusqu'à -5°, pour remonter à 15° en journée. A cet endroit-là, il y a les montagnes enneigées en face et la frontière syrienne à 20km... C'est poignant." "Ce qui est aussi émouvant c'est de voir que pas mal de gens des régions qui n'ont pas été touchées, sont venus avec des food truks pour nourrir les sinistrés, cette solidarité force le respect", confie la pharmacienne.Les volontaires qui participent à ces missions ne sont pas laissés sans soutien psychologique, une psychologue du SPF était présente sur place et encore disponible une fois rentrés au pays en cas de besoin."En fait, quand on est là-bas, pour être efficace, on se met en mode robot, souligne Marie Deffense: il y a tellement de choses à faire qu'on ne réfléchit pas. Tout le monde fonctionne dans la même logique, dans le même but, avec une synergie incroyable. Et puis, on sympathise vite avec les membres de l'équipe. C'est plutôt en rentrant en Belgique qu'on réalise un peu ce qu'on a traversé. Déjà, le fait de rentrer chez soi, la baisse d'adrénaline, alors qu'on était occupé h24: à la pharmacie, on travaillait de 8 à 23 h, mais on avait un téléphone de garde, on restait joignable." "Aujourd'hui, on a un groupe WhatsApp où on discute: pour beaucoup, le contrecoup c'était de se retrouver un peu perdu, avec toutes les images qui remontent, tout ce qu'on a enregistré. Quand je suis rentrée, j'avais pas mal d'images comme ça qui revenaient. J'ai appris qu'il y avait eu de fortes pluies et j'imaginais l'état des tentes et du terrain où vivent ces gens. C'est là qu'on se dit qu'on a de la chance de vivre là où on est. Ceci dit, si on s'inscrit là-dedans, c'est qu'on a envie de participer à ce genre de mission, on sait dans quoi on s'engage." "C'est une magnifique expérience, à tous niveaux, affirme-t-elle. D'abord humaine et professionnelle, parce qu'on rencontre pas mal de gens de tous horizons, ce dont on n'a pas spécialement l'occasion ici en Belgique. Se retrouver avec des médecins, des infirmiers, venus d'hôpitaux différents, avec des profils différents, c'est passionnant. Ce qui est chouette, c'est de mettre son expérience de pharmacien au profit d'une cause humanitaire remarquable. Cependant, je suis consciente qu'il y en a encore pour des années de travail après notre départ." La pharmacienne se dit également très heureuse d'avoir pu faire partie d'une aventure proprement extraordinaire: "Un hôpital mis en place en 3 jours! Voir toute la logistique, comment ça s'organise, participer à ça et faire que ça fonctionne: c'est impressionnant! C'était aussi la première fois que je partais dans un avion militaire, depuis un aéroport militaire. Je ne rêvais pas vraiment de ce genre de choses, mais j'ai alors côtoyé un milieu plutôt inconnu pour moi." Enfin, l'accueil reçu l'a particulièrement émue: "Les gens souffrent et ils arrivent encore à garder le sourire! C'est poignant! Ils sont reconnaissants. Je ne sais pas si en Europe, on serait aussi humble!" Aujourd'hui, si on la rappelle, Marie Deffense assure être prête à repartir dans les 48 h. Pour l'instant, elle reprend ses marques dans la pharmacie carolorégienne et dans celle de l'hôpital namurois, avec en toile de mire les examens pour boucler son second diplôme universitaire en nutrition, qu'elle ira passer à Paris...