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Longtemps ignorées ou à peine connues, les artistes féminines de notre pays qui pratiquèrent l'abstraction connaissent non pas un regain mais un intérêt certain depuis quelques années. Quelques décennies déjà dans le cas de Marthe Wéry dont la reconnaissance tardive n'en fut que plus grande. C'est sans aucun doute l'artiste la plus connue de cette exposition de groupe proposée par la galerie Valérie Bach laquelle rassemble plus d'une cinquantaine d'oeuvres de cinq artistes encore en vie ou disparues pour certaines récemment. Artiste " vedette " de l'expo, Marthe Wéry dont les oeuvres parfois monumentales, monochromes ou en dégradés de lamelles ou de plaques se veulent comme des pages où se racontent une histoire infinie parfois dans un simple " éclaircissement progressif ", souvent sans titre pour ne pas limiter le récit, évitant la contingence narrative ou picturale. Une oeuvre qui peut paraître simple mais qui ne l'est pas, fait l'objet d'un rituel dans sa conception et se veut à la fois simple et complexe. Exemple : une commande pour un hôpital psychiatrique résulte en une mosaïque de plaques de bois, certaines (mal) peintes en jaune d'autre pas, et dont certains éléments semblent faire défaut. Un ensemble comme non achevé, brut, parcellaire qui évoque dans son jaune (couleur de l'altérité qui dérange durant de longs siècles) notamment, le déséquilibre dont souffrent les patients. L'artiste liégeoise Francine Holley, décédée il y a quelques mois plus que centenaire, pratique, après une première période fauve, une abstraction totémique (il y en a un dans l'expo) que l'on trouve dans sa peinture, influencée par les Arts premiers et les couleurs sourdes de l'Afrique pour ensuite, l'âge aidant, s'adonner à des encres qui évoquent Cobra dans leur côté brut et spontané, voire même plus précisément Dotremont dans leur simplicité du trait noir, lorsqu'à plus de 80 ans elle pratiquait encore son art. Tout autre est l'art de Gisèle Van Lange, dont la ressemblance avec Bacon est frappante : Apparition en 1974 ou Crâne de cheval, 12 ans plus tôt, font montre chez cette artiste toujours de ce monde d'une angoisse, d'un mal-être semblable au peintre irlandais dans ses cadavres décharnés, qu'elle colore cependant plus diversement, et semble, dans sa palette, emprunter au hasard. Ses paysages abstrait reflètent également cette " consumation intérieure ". L'abstraction de Berthe Dubail est elle nettement plus lyrique, quoique rageuse, voire organique à ses débuts, pour verser dans une tendance plus astrale, ronde et apaisée dans les années 70. Période où son oeuvre, au regard de l'oeil d'aujourd'hui, paraît dès lors plus datée. Mais sa pratique reste colorée en comparaison de celle d'Antonia Lambelé, qui choisit le carré blanc comme sujet de recherche constructiviste, tout en douceur, et dans ses toiles où se mêlent diverses techniques (fils, collages). Cinq artistes certes, mais qui démontrent surtout les variations énormes réunies sous le vocable abstraction. Bref, une exposition qui mettant en lumière ces cinq femmes leur procure enfin la fame (ancien mot pour gloire) qu'elles méritent.