...

"Cette pandémie est avant tout le produit de l'activité humaine et si nous voulons en éviter d'autres, il est fondamental de modifier notamment nos habitudes et l'extrême connectivité constatée aujourd'hui entre les humains", précise Sophie Vanwambeke, géographe médicale à l'UCLouvain. Deux étapes ont conduit à la pandémie actuelle: "La première c'est le processus d'émergence, le spillover, l'effet de débordement, le passage de l'hôte réservoir du pathogène à l'espèce humaine, moyennant éventuellement une étape chez une espèce animale domestique. Il s'est fait à la faveur des contacts entre ces différentes espèces. Pour devenir une pandémie, il faut encore un processus de diffusion: à un moment donné, ces pathogènes s'adaptent pour se transmettre de personne à personne, à une échelle locale et globale". La spécialiste pointe ici l'extrême accroissement du volume des mouvements de personnes et de marchandises au cours des dernières décennies. "Pour le moment, l'idée que nos contacts avec des réservoirs de pathogènes sont des opportunités pour que ces événements se produisent n'est pas du tout intégrée dans la manière dont le système fonctionne. Or, c'est un élément clé pour pouvoir les prévenir". Comment y parvenir? "Il faut combler des zones d'ombre dans le savoir (sur les virus, par exemple) et organiser nos activités pour intégrer ce risque, ce qui repose sur plus de collaboration. Au niveau international, il y a le concept One health dont l'un des objectifs est de décloisonner, pas seulement les savoirs scientifiques, mais aussi les pratiques de gestion, de réglementation et de décision. En Belgique, le réseau One health existe depuis 2 ans, il est mené par Sciensano et le SPF Santé, sécurité de la chaîne alimentaire et environnement, rassemblant scientifiques, institutions publiques et administration. C'est un signal positif". Pour Sophie Vanwambeke, il s'agit aussi d'une opportunité: "Cette question de l'émergence de pathogènes résultant de l'activité humaine a des connexions avec la question du changement environnemental global et aussi avec la conservation de la biodiversité et la production durable de biens de consommation". Cette pandémie sera-t-elle l'électrochoc qu'il fallait pour pouvoir agir sur la crise climatique? "Ce n'est pas si simple. On s'est rendu compte de la dépendance de nos activités par rapport au bon état de l'environnement. Peut-être que cela va favoriser une prise de conscience plus efficace par rapport à l'urgence de s'attaquer sérieusement à la question des changements climatiques", espère Jean-Pascal van Ypersele, climatologue (UCLouvain). Des parallèles peuvent être faits entre la crise actuelle due à la pandémie et celle à venir due au climat. "Dans les deux cas, on a des vagues à aplatir mais, celles de la pandémie actuelle sont beaucoup plus petites que celles à venir dans le domaine du climat et de l'érosion de la biodiversité, qui seront bien plus graves à plus long terme. La petite baisse des émissions mondiales de CO2 observée en 2020 (-7%) aura un effet quasiment négligeable sur l'augmentation de la quantité accumulée dans l'atmosphère, qui a un effet sur le climat". Autre point commun: dans les deux cas, ce sont les pauvres qui sont le plus affectés. "Nous sommes tous dans le même bateau et négliger la santé des plus vulnérables a des effets boomerangs. Il faut revisiter la qualité des relations entre les humains et la nature. Cette crise nous rappelle l'importance de la réflexion à long terme et le caractère fondamental des changements dans la manière dont toute l'économie est organisée", insiste-t-il. A côté, Jean-Pascal van Ypersele note des différences: "Les changements climatiques vont influencer la santé humaine mais aussi celle des écosystèmes dont nous dépendons et il n'y a pas de vaccin contre ces changements-là!". Enfin, pour le climatologue, il faudrait un GIEC de la santé: "L'interface science/politique doit être améliorée. Par exemple, l'expertise à propos de la transmission du coronavirus par les aérosols en suspension dans l'air dans les espaces clos et mal ventilés, a été longtemps ignorée par les experts de la santé, ce qui a eu des conséquences sur les décisions politiques". Dès lors, pourquoi ne pas s'inspirer du GIEC? "Cela permettrait de prendre des décisions plus en amont de manière à prévenir des situations comme celle que nous vivons. Le GIEC doit fournir une information évaluée sur base de la littérature scientifique, dans toute sa complexité et interdisciplinarité, mais sans être prescritif et sans prendre la place des décideurs politiques. Il faut beaucoup mieux utiliser l'expertise qui est présente notamment dans nos universités". "Je suis frappé par le manque d'éducation scientifique de la grande majorité des décideurs politiques. Il faudrait une meilleure formation à l'esprit critique: comment utiliser des sources scientifiques, comment savoir celles qui sont valables et rester critique? ... Le système d'enseignement, de la maternelle à l'université, devrait faire beaucoup de progrès", conclut Jean-Pascal van Ypersele.