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Le Pharmacien: Qui êtes-vous Sabrina Suetens et quel est le parcours qui a guidé vos pas jusqu'à ce nouveau poste de directrice générale de beMedTech? Sabrina Suetens: Je suis économiste de formation et je travaille dans le secteur des soins de santé belge depuis plus de 30 ans. Durant ces années, j'ai eu la chance d'observer le système sous de nombreux aspects et de nouer des collaborations avec diverses parties prenantes. J'ai débuté ma carrière dans l'industrie des médicaments innovants, j'ai géré des sociétés de services de données de santé et j'ai ensuite été séduite par l'industrie des dispositifs médicaux pour le côté "compagnons de route" qu'ils représentent pour les patients, les prestataires de soins de santé et les autorités politiques. Mon parcours et le fait que je sois membre actif de beMedTech depuis plusieurs années ont sans doute joué dans cette belle opportunité. J'y vois une continuité assez logique. Quels seront les objectifs à défendre en priorité auprès du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke? Nous poursuivons un objectif commun avec le ministre de la Santé: celui de l'amélioration des soins. Et pour atteindre cet objectif et dans l'intérêt du patient, je ne vois pas de meilleure solution qu'une collaboration entre toutes les parties prenantes. Pour moi, seules les technologies médicales qui apportent une valeur ajoutée aux patients, aux professionnels de santé et/ou au système ont un avenir durable et peuvent contribuer à l'amélioration des soins de santé. La responsabilité sociale qui pèse sur notre fédération est importante et j'ose affirmer que la grande majorité de nos membres en est tout à fait consciente. Du côté du ministre de la Santé, saluons déjà quelques initiatives: · le nouvel élan donné à la technologie médicale numérique via la procédure renouvelée des applications médicales mobiles et le dégagement d'un budget de 20 millions d'euros pour promouvoir la mise en oeuvre d'outils numériques dans les hôpitaux ; · le passage à un financement plus groupé, avec davantage d'incitations à la qualité ; · la mise en place de plans de travail avec des objectifs de santé ; · la création de case managers pour aider les personnes souffrant de certaines maladies chroniques (sclérose latérale amyotrophique (SLA), sclérose en plaques, parkinson,...) ; · l'incitation à l'hospitalisation à domicile. Comment voyez-vous vos relations avec l'AFMPS et MedTech Europe? Ma première réunion avec l'AFMPS dans ma nouvelle fonction a mis en évidence notre alignement sur la seule voie à suivre: la collaboration public-privé. Il est évident, que l'industrie des technologies médicales se distingue fondamentalement d'autres secteurs. Je pense, par exemple, à la mise en oeuvre: · du nouveau règlement européen sur les dispositifs médicaux in vitro (IVDR) et les dispositifs médicaux (MDR) qui demande de nombreux ajustements sur le plan national ; · de la base de données obligatoire EUDAMED qui regroupera tous les dispositifs médicaux autorisés à être distribués en Europe. Nous devons, à tout prix, éviter la double administration pour offrir un accès aux informations les plus précises et les plus correctes aux acteurs des soins de santé. C'est pourquoi nous travaillons ensemble sur un certain nombre de projets pour sortir au plus vite de cette impasse, sans perdre de vue l'objectif final: maintenir un bon équilibre entre la sécurité et l'efficacité d'une part, et la flexibilité et la "légèreté" d'autre part. Du côté de MedTech Europe dont nous sommes membres, l'évolution tend vers une plus grande coordination européenne dans le domaine de la santé pour offrir, entre autres, une meilleure traçabilité des dispositifs médicaux, garantir l'utilisation des données de santé et le respect des principes GDPR, et renforcer la cybersécurité. Notre coopération avec Medtech Europe, nous donne aussi facilement accès aux experts des réglementations européennes et au marché d'autres pays européens et nous permet de bénéficier du partage des meilleures pratiques, etc. La technologie médicale est un vaste domaine. Comment ne pas s'y perdre entre MedTech, BioTech et HealthTech et ne pas se marcher sur les pieds? C'est vrai qu'il est parfois difficile de faire la part des choses tant il existe de chevauchements. Ne serait-ce qu'entre MedTech et pharma ou entre les liens étroits qu'il peut exister entre diagnostics in vitro et médecine personnalisée. C'est pourquoi je pense que le mot magique "coopération" a tout son sens. Il s'agit avant tout de bien se comprendre et de respecter l'expertise de chacun. Pour le patient, le plus important est d'obtenir les meilleurs soins possibles en termes de coût et de qualité. Mais pour l'heure, il existe encore des différences dans les délais de remboursement entre les diagnostics compagnons et les traitements personnalisés, en raison de réglementations différentes. Si bien qu'un médicament peut déjà être remboursé, alors que le test diagnostic qui indique que ce traitement peut réussir ne l'est pas encore. Ce raisonnement en silo n'est pas un choix délibéré, il s'est développé historiquement. Mais il est clair qu'aujourd'hui, cela ne sert pas l'intérêt du patient, ni des professionnels de santé, ni des autorités. C'est pourquoi, nous travaillons activement avec Pharma.be sur des solutions constructives. Nous avons également commencé à travailler étroitement avec les clusters régionaux dans le domaine des technologies médicales, des biotechnologies et des technologies de la santé comme Medvia, BioWin ou Lifetech.brussels. Ces structures préparent les bons acteurs à entrer dans le domaine et nous devons, de notre côté, veiller à garantir un cadre réglementaire et financier adéquat pour les technologies médicales entrantes. Comment voyez-vous l'évolution du rôle des technologies dans les soins de santé? Nous y voyons quatre évolutions majeures auxquelles notre secteur peut contribuer: 1. une approche préventive, plus proactive et personnalisée pour le patient ; 2. l'ancrage des soins intégrés ce qui se traduit par une meilleure expérience de soins ; 3. le soutien aux professionnels des soins de santé pour qu'ils puissent s'occuper de plus de patients et consacrer plus de temps à leurs tâches principales avec le même effort ; 4. l'"empowerment du patient". Je crois que les technologies médicales sont des facilitateurs importants mais jamais un but en soi. L'accélération des innovations dans les soins de santé n'a jamais été aussi puissante qu'aujourd'hui: robotisation chirurgicale, numérisation, IA, impression 3D, big data... c'est phénoménal! Toutefois, pour améliorer la santé pour tous dans les limites des budgets disponibles, il faut que ces innovations: · s'inscrivent dans des processus efficaces ; · soient correctement employées par les utilisateurs (prestataires de soins de santé et citoyens/patients) ; · et puissent faciliter les pratiques, conduire à des diagnostics plus précis grâce à l'IA.... La meilleure utilisation de toutes les données collectées par les technologies médicales sera une clé d'avenir, mais la collaboration public-privé avec toutes les parties prenantes, sera aussi la seule voie d'un succès durable. Est-on réellement capable d'imaginer ce que sera la médecine, la prévention ou l'hospitalisation d'ici 5 à 10 ans? Il est difficile de prévoir ce que sera demain. Mais il est évident qu'un certain nombre d'évolutions vont se poursuivre et que les patients joueront un rôle plus actif. Parce que nous voulons tous co-piloter nos soins et nous attendons tous à bénéficier de soins personnalisés. Il va donc falloir faire face à une forte augmentation de la demande de soins ... mais l'offre ne pourra pas suivre sans de sérieux changements. Pour réussir, il faut agir en développant, notamment, les soins intégrés pour les patients chroniques et en renforçant l'approche multidisciplinaire, en améliorant la fluidité et l'efficacité des échanges de données de santé. Sans ces changements, impossible d'avoir une bonne vue d'ensemble du patient, d'adapter les soins et d'utiliser efficacement toutes les ressources disponibles. On peut imaginer que demain, les patients chroniques seront davantage pris en charge par la première ligne plutôt que par la deuxième. Le médecin généraliste sera, sans doute, un coach qui guidera les patients dans leur parcours de santé, au sein d'une collaboration multidisciplinaire dont les pharmaciens feront partie. De nouveaux profils apparaîtront, que ce soit pour contrôler les données ou donner l'alerte, tel le canari d'antan dans la mine. Les rôles et les responsabilités de chacun devront être redéfinis. Du côté des hôpitaux, les choses vont aussi changer c'est inévitable. L'hôpital deviendra sans doute un centre de connaissances de haute technologie, spécialisé ou général, au service du trajet de soins et travaillera en collaboration avec d'autres prestataires de soins de santé et les patients. Techniquement les soins peuvent être plus efficaces, mais l'augmentation de la demande ne réduira pas les dépenses. Que du contraire! Et la seule façon d'avoir un impact sur les dépenses est d'éviter que les gens aient besoin de soins en travaillant sur la prévention. Le chemin à parcourir est long, mais ce sera la seule option possible pour équilibrer la demande et l'offre de soins et garantir aux citoyens de vivre une vie saine et de qualité le plus longtemps possible. Quels sont les grands enjeux des trois prochaines années? Compte tenu du rôle crucial que les technologies médicales peuvent jouer dans les soins de santé, nous préconisons d'assurer: 1. aux patients et aux soignants un accès amélioré et accéléré aux technologies médicales à valeur ajoutée ; 2. une collaboration avec les décideurs politiques et le secteur des soins de santé pour s'assurer que ces technologies sont également utilisées de manière efficace dans la pratique ; 3. l'organisation optimale des soins intégrés. Qu'est-ce qui vous fascine le plus en santé aujourd'hui? Le développement rapide des technologies médicales, les progrès de la recherche médicale et la sensibilisation croissante au bien-être mental. Les applications qui permettent les soins à distance, la génomique et la médecine personnalisée, l'énorme potentiel de l'intelligence artificielle, etc. C'est fascinant! Mais ce qui me fascine le plus depuis 30 ans, c'est l'interaction humaine. Je crois que le contact humain va rester crucial que ce soit entre les patients et les prestataires de soins de santé, entre prestataires de soins ou avec toutes les autres parties prenantes. Ce sera une clé de réussite. Mais je suis très curieuse de voir comment cette nouvelle dynamique prendra forme. Les décideurs politiques doivent réussir à relever le défi en encourageant toutes ces collaborations. Qu'est-ce qui vous fait peur au contraire? Ma plus grande peur serait de voir mes proches tomber malades et ne pas pouvoir accéder à un système de santé de qualité ouvert à l'innovation. Quel message souhaitez faire passer pour terminer cet entretien? C'est en utilisant les technologies médicales de manière plus ciblée, que nous pouvons offrir plus de valeur aux patients, aux professionnels de santé et au système de santé. C'est pourquoi nous souhaitons tendre la main à toutes les parties prenantes pour travailler ensemble à des soins de qualité, accessibles et durables. Ensemble, nous pouvons faire tellement plus. C'est ma devise. Together Everyone Achieves More. Merci.