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Face aux symptômes de cette pathologie nouvelle, ophtalmologues, neurologues et psychiatres ont un peu tendance à se renvoyer la balle sans parvenir à identifier l'origine du problème. Il est vrai que la neige visuelle n'a été décrite pour la première fois qu'en 2014 et que bien des praticiens n'en ont même pas encore entendu parler. Dans notre pays, les spécialistes ne sont d'ailleurs qu'une poignée à suivre les articles scientifiques publiés à ce sujet. Le Dr Elizabet Boon, neurologue au centre universitaire de psychiatrie de la KU Leuven (site de Kortenberg), en fait partie. "Nombre de patients confrontés à ce problème souffrent aussi de migraines. Comme celles-ci constituent mon champ de spécialisation, ils aboutissent parfois dans mon cabinet", explique-t-elle. On estime en effet que 60 % des patients à la vision "enneigée" ont également des migraines, généralement avec aura.Manifestations visuellesChez une minorité de sujets migraineux, les crises sont précédées de signes avant-coureurs tels que des lignes en zigzag ou des scintillements, désignés par le terme d'aura. Alors que l'aura migraineuse tend à persister de 5 à 60 minutes avant de disparaître, les petits points qui caractérisent la neige visuelle sont généralement présents en permanence - et toujours dans l'ensemble du champ de vision, alors que les manifestations de l'aura sont le plus souvent limitées à un seul côté. Les traitements antimigraineux n'ont en outre aucun effet sur la neige visuelle. "Celle-ci est donc clairement distincte de la migraine, même s'il n'est pas exclu que certains éléments puissent être communs aux deux problèmes" , explique le Dr Boon."On sait par ailleurs que la neige visuelle peut aussi s'accompagner d'autres symptômes ophtalmologiques. D'après une enquête en ligne américaine qui a dressé le tableau des plaintes de 275 patients, un certain nombre de troubles visuels sont en effet présents de manière assez frappante dans cette population." Environ un tiers des patients présentent par exemple des symptômes de palinopsie. "Ce terme désigne la persistance de certaines images après disparition de leur source : la personne regarde quelque chose, tourne la tête et continue à voir l'objet alors qu'elle ne le regarde plus." Parmi les autres phénomènes couramment observés chez ces patients, citons encore la présence de traces ou d'ombres derrière les objets en mouvement ou celle de "mouches volantes", de petits amas de protéines flottant dans le corps vitré de l'oeil et dont le patient peut percevoir l'ombre dans son champ de vision. Ce dernier symptôme est très courant dans la population générale (et en particulier chez les personnes d'un certain âge), mais il semble plus marqué et plus gênant chez les patients qui souffrent de neige visuelle. "Certains voient aussi des lignes en zigzag constituées de petits points mobiles, qui sont en réalité des globules blancs circulant à travers les vaisseaux capillaires de la rétine. Ils sont normalement invisibles, mais les patients confrontés à un problème de neige visuelle sont apparemment capables de les percevoir ." On parle dans ce cas de phénomènes entoptiques du fond bleu, parce qu'ils se voient particulièrement bien sur un arrière-plan bleu (comme un ciel sans nuages). Une hypersensibilité à la lumière et une cécité nocturne sont également courantes dans ce public, mais l'acuité visuelle n'est par contre pas affectée.Un cerveau trop stimulé ?Dans l'espoir de parvenir à mieux définir la neige visuelle, les scientifiques ont fixé un certain nombre de critères. "Les points scintillants doivent ainsi être présents en permanence à intensité variable et au niveau des deux yeux. En outre, le patient doit présenter au moins deux des quatre symptômes visuels mentionnés plus haut (palinopsie, phénomènes entoptiques, hypersensibilité à la lumière et cécité nocturne)", résume Elizabet Boon. La neige visuelle ne peut pas non plus découler d'une autre maladie neurologique ou d'une consommation de drogue, quoique la spécialiste belge ait personnellement quelques réserves concernant ce dernier point : "De nombreux patients qui présentent ces symptômes sont d'anciens consommateurs de cannabis : 40 % d'après l'enquête en ligne." Il est vrai, toutefois, que des drogues comme le LSD ou l'ecstasy provoquent parfois des symptômes visuels susceptibles de rester présents pendant plusieurs années après l'arrêt de toute consommation, et qu'il convient effectivement d'exclure ce trouble persistant des perceptions induit par les hallucinogènes.Des examens cérébraux laissent à penser que la neige visuelle pourrait découler d'une hyperstimulation du cerveau. "Il semble en effet que les patients présentent une hyperactivité du gyrus lingual, une zone profonde du cerveau responsable de la modulation des stimuli visuels." Reste évidemment à savoir d'où vient cette stimulation excessive. Trop de temps passé devant l'écran ? Pour l'instant, les spécialistes tâtonnent. Le problème touche indifféremment les deux sexes et peut se manifester à tout âge, avec un pic entre 20 et 30 ans. Dans 60 % des cas, il s'accompagne d'acouphènes bilatéraux - un phénomène auditif que l'on compare d'ailleurs volontiers à la neige visuelle, puisqu'ils découlent vraisemblablement tous deux d'une hyperstimulation de certaines zones du cerveau.Prise en chargeIl n'existe jusqu'ici aucun traitement efficace contre le syndrome de neige visuelle. "Plusieurs approches médicamenteuses ont déjà été tentées pour soulager ce problème qui affecte gravement la qualité de vie, mais jusqu'ici sans grand résultat", soupire le Dr Boon. En attendant mieux, on recommande donc avant tout aux patients d'appliquer des mesures d'hygiène cérébrale : "Comprenez, de limiter le temps passé devant l'écran (à bannir complètement pendant au moins 90 minutes avant le coucher), de dormir suffisamment, de limiter la consommation d'alcool et de boissons gazeuses (l'aspartame des versions light peut déclencher des migraines) et de bouger suffisamment." Pour l'heure, la médecine ne peut rien faire de plus. La seule reconnaissance du problème a toutefois déjà son importance : pour bien des patients, savoir que leurs symptômes ne sont pas imaginaires mais trouvent leur origine dans le dysfonctionnement de certaines régions du cerveau représente en effet déjà un grand soulagement.