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Beaufays est l'une des six communes de Chaudfontaine, l'une des plus célèbres stations thermales de notre pays. Cela fait déjà pas mal d'années qu'Alix Tihon travaille à la pharmacie locale. "Depuis que j'y ai fait mes débuts comme jobiste à l'âge de seize ans, j'ai développé des liens étroits avec les patients, qui sont un peu ma seconde famille. Malheureusement, mon rêve de reprendre un jour cette pharmacie semblait hors de portée. Quel dommage, moi qui me voyais depuis l'enfance préparer des médicaments, faire des études de pharmacie, suivre une formation complémentaire en nutrithérapie à Liège..." Qu'à cela ne tienne. "J'ai toujours été quelqu'un de créatif, ce qui était beaucoup moins compatible avec le travail à l'officine. J'ai longtemps fait de la peinture et, ado déjà, je confectionnais des colliers de perles que je vendais dans une boutique des environs. C'est ainsi qu'a peu à peu germé l'idée de lancer ma marque de bijoux." "Je m'intéresse beaucoup à la mode, mais je ne me voyais pas vraiment créer des vêtements. Je dis volontiers que je suis une adepte du minimum d'efforts et le segment des accessoires, bijoux en tête, me semblait donc nettement plus prometteur. D'autant que j'étais souvent un peu déçue par ceux que j'achetais, qui ne tenaient pas, s'oxydaient... bref, je n'arrivais pas à trouver chaussure à mon pied." En sillonnant l'Europe et l'Asie, la Liégeoise s'est régulièrement attardée dans de petits ateliers et magasins. "J'ai cherché plus de trois ans un matériau répondant pleinement à mes souhaits et attentes. Et puis, par le plus grand des hasards, je suis tombée à Hongkong sur un petit atelier artisanal qui confectionnait des bijoux en acier chirurgical inoxydable. Le fait d'avoir fait cette trouvaille dans ma ville préférée m'est apparu comme un signe: que je trouve le matériau idéal justement là et pas ailleurs, cela ne pouvait pas être le fruit du hasard! J'ai toujours été attirée par l'Asie. Lorsque j'ai découvert Hongkong avec une collègue pharmacienne, j'ai immédiatement craqué pour son éclectisme et ses rues animées. J'y suis retournée plusieurs fois." Le caractère hypoallergénique de l'acier chirurgical représente pour elle un atout considérable. "Je l'ai fait analyser par un laboratoire. L'absence de métaux lourds et surtout de nickel (dont on connaît le potentiel allergénique), la résistance à l'eau et le fait que la dorure ne s'écaille pas m'ont convaincue que c'était le matériau idéal... et le fait qu'il ne soit pas trop cher est évidemment un plus." Après avoir déniché la perle rare, restait à trouver un nom pour son projet. "Ce n'était pas évident. J'ai finalement demandé à mon beau-père, grand lecteur, de prendre note des mots inhabituels qu'il rencontrait. C'est ainsi que j'ai trouvé le nom d'Harpie, qui désigne dans la mythologie grecque les filles d'Électre, souvent représentées comme des créatures mi-femmes, mi-oiseaux (de proie). Lorsque mon frère a entendu qu'elles dévastent tout sur leur passage, il s'est immédiatement exclamé: "C'est tout à fait toi! Tu fonces d'abord, tu réfléchis ensuite." Et il n'a pas tort: j'ai toujours 101 projets et idées en tête et quand je suis convaincue, je me lance sans beaucoup tergiverser. La coïncidence était trop frappante, d'autant qu'Harpie n'était pas encore enregistré comme nom de marque. Là encore, je l'ai vu comme un signe." La grande aventure pouvait commencer. "Pour ma première collection, j'ai passé trois semaines à Hongkong pour suivre le processus de production sur place", se souvient Alix Tihon. "Je conçois et je peaufine mes créations chez moi, mais j'ai délégué la fabrication à l'atelier." Les voyages sont pour la créatrice une source d'inspiration majeure. "Tout ce que je rencontre en chemin, d'une exposition de tissus aux merveilles du monde sous-marin, peut se refléter dans mon travail. Mes créations ont toutefois aussi un côté vintage, souvenir de mon enfance et du coffret à bijoux de ma grand-mère, qui nous permettait de nous déguiser et d'utiliser ses boucles d'oreilles en or. C'est un souvenir auquel je repense toujours avec plaisir." Une source d'inspiration supplémentaire a récemment fait son apparition dans sa vie, puisqu'elle a récemment donné naissance à des jumeaux. "Une incroyable aventure. Au cours de ma grossesse, j'avais envie d'explorer d'autres horizons artistiques, d'autres matériaux. J'ai ainsi découvert en ligne un atelier indien qui travaille avec des pierres semi-précieuses. Le résultat m'a enthousiasmée et j'espère pouvoir bientôt m'envoler pour Jaipur - peut-être même avec mes jumeaux, qui sait!" Cette nouvelle dimension ne va pas sans éveiller "une foule de questions sur la manière dont je vais continuer à combiner mes deux métiers dans le futur. Je suis ravie d'être de retour à l'officine, mais je suis aussi impatiente de voir comment Harpie va se développer." La marque a d'ores et déjà su séduire en Belgique et ailleurs. "Tout a été très vite, grâce au bouche-à-oreille et à des amies ou clientes interpelées par des vendeurs curieux de savoir d'où venaient leurs boucles d'oreilles, bagues et bracelets. Il est important pour moi d'avoir de bons contacts avec les boutiques qui vendent mes créations, car cela me permet de personnaliser mes bijoux en fonction de la clientèle." La marque se développe aussi au-delà de nos frontières grâce à des plateformes comme Instagram ou Pinterest. Détail amusant: "Avant ma grossesse, je remarquais parfois déjà - non sans fierté - que certaines clientes venaient à la pharmacie en portant mes bijoux, sans savoir que j'en étais la créatrice."